Inju­res et me­na­ces à l’oc­troi (Aix-en-Pro­ven­ce, 29 juin 1874)

L’an mil huit cent, etc. (sic)
Devant Nous, Jean-Baptiste Finet, commissaire de police de la ville d’Aix, etc.
S’est présenté M. Leduc Célestin, âgé de 41 ans, employé à l’octroi, demeurant en cette ville, rue des Trois-Ormeaux, n° 17, lequel nous a déposé la plainte suivante :

Hier, à environ une heure et demie du soir, j’étais de service à l’extrémité du cours, lorsqu’il se présenta pour entrer en ville une charrette attelée d’un cheval, contenant des paniers de fruits et plusieurs bonbonnes ou dames-jeannes. Je montai sur la charrette pour m’assurer que ces bonbonnes ne contenaient aucun liquide. Le conducteur, me voyant les secouer toutes les unes après les autres, me dit :
« Vous êtes bien curieux. »
Je lui répondis :
« Je suis payé pour cela. »
Dans ce moment, un individu que je ne connaissais pas passa près de la charrette et dit au conducteur :
« Ne vous laissez pas fouiller par ce grand fainéant. »

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Je descendis et, m’approchant de l’individu, je lui demandai explication de ses paroles.
Il me dit :
« Viens donc là-bas dans le ravin, je te la donnerai.
— Venez, lui dis-je, devant monsieur le préposé en chef, vous vous expliquerez devant lui. »
Il me répondit :
« J’emm… votre préposé en chef et tout ce qui s’en suit ; vous êtes tous des coquins, des canailles, des crapules. »
J’ai appelé M. Bernard, employé à l’octroi, et, lui ayant raconté ce qui s’était passé, je l’ai prié de m’accompagner pour demander à l’individu son nom. Nous sommes allés dans le ravin, près du chemin en exécution pour la nouvelle gare. Nous avons trouvé cet homme qui s’y était déjà rendu, croyant que j’allais le suivre pour me battre avec lui. Là, je lui ai demandé son nom. Il m’a répondu :
« Vous trembleriez si je vous le disais et si, par malheur, il m’arrive quelque chose, je vous écraserai dans quelque coin. »
Un moment après, je l’ai vu se dirigeant avec un camarade qui le suivait dans la rue Grande Saint-Esprit. Je l’ai désigné à l’agent de police Charbonnier et, afin de l’arrêter, hâtait de fuir. Je suis passé derrière l’octroi et je l’ai rejoint au bas de ladite rue. Voyant que je voulais l’arrêter, il m’a menacé encore de me frapper. L’agent de police étant arrivé, il s’est décidé à donner son nom qui est Lamothe, Élie, âgé de 34 ans, demeurant au Veau-Qui-Tête, rue Rifle-Rafle, chez M. Bernard, fabricant de fauteuils.
Je dois ajouter que cet individu m’a traité de Versaillais1, de Corse, et a levé plusieurs fois la main sur moi, menaçant de me frapper et, lorsque je l’ai quitté dans la rue Grande Saint-Esprit, il a dit en me menaçant du geste :
« Je te trouverai dans un coin. »
MM. Servoni, employé à l’octroi, et Bernard, aussi employé, ont entendu les injures et les menaces de Lamothe.

Lecture faite, Leduc a signé avec nous.

Nous avons fait conduire devant nous le nommé Lamothe, Élie, âgé de 35 ans (sic), menuisier en fauteuils, demeurant rue Rifle-Rafle, né à Saint-Alvère, arrondissement de Bergène2 (Dordogne), le … (sic) 1838, fils de Pierre Lamothe et de Marie Anne Garide, veuf de Pauline Bérard, avec laquelle il s’était marié à Nîmes en 1868, sans enfants.
Nota : Lamothe travaille chez M. Bernard, fabricant de fauteuils, rue de l’Opéra.
Reconnaît qu’il a eu tort de se mêler de ce qui ne le regardait pas, en empêchant l’employé de l’octroi de faire son service.
— J’avais bu un peu trop, dit-il, et j’ai pu manquer de respect à l’employé, mais je ne crois pas m’être servi des termes qu’il m’attribue. J’ai dit, en parlant de monsieur le préposé en chef : « Je n’ai pas affaire avec lui », mais je n’ai pas dit : « Je l’emm… »
Lecture faite, Lamothe a signé avec nous.

Avons fait comparaître devant nous :
1) M. Bernard, Antoine, âgé de 55 ans, employé de l’octroi de cette ville, y demeurant rue Mazarine, n° 2, lequel nous a déclaré ce qui suit :

Je me trouvai au bureau de la grille, lorsque Leduc est venu se plaindre d’avoir été insulté par un individu qu’il ne connaissait pas. Il me pria de l’accompagner dans le ravin de la place de la Rotonde pour arrêter et demander le nom de cet individu.
Je l’accompagnai. Arrivés au chemin de la nouvelle gare, Leduc me montra un homme et me dit :
« C’est celui-ci qui m’a insulté. »
Cet individu vint alors sur nous en gesticulant. Il dit :
« Oui, c’est moi qui ai dit que vous étiez de la crapule et de la canaille. »
Je lui dis de ménager ses expressions et de nous dire son nom. Il dit alors :
« Si je vous le disais, il vous ferait trembler. »
Il dit, en s’adressant à Leduc:
« Vous êtes Corse, je vous trouverai dans un petit coin et je vous arrangerai. »
L’individu s’étant dirigé du côté de la rue Grande Saint-Esprit, Leduc appela un sergent de ville qui arrivait du Cours, et ils sont allés l’arrêter au bar de la dite rue.

Lecture faite, M. Bernard a signé avec nous.

2) Servoni, Jean, âgé de 52 ans, employé à l’octroi de cette ville, y demeurant, rue de l’Annonciade, n° 5, lequel nous a déclaré ce qui suit :

Le 28 juin dernier, à une heure et demie du soir, j’étais de service à la grille avec Leduc, au moment où ce dernier visitait le contenu d’une charrette qui entrait en ville. Un individu qui passait a prétendu que nous n’avions pas le droit d’inspecter cette charrette et a traité Leduc de canaille et de crapule.
Leduc lui ayant dit de venir s’expliquer devant monsieur le préposé en chef, il a répondu :
« J’emm… votre préposé en chef et tous ses employés. »
Il a refusé de dire son nom et il s’est éloigné en continuant de nous insulter.

Lecture faite, M. Servoni a signé avec nous.
Fait à Aix, etc. (sic) »

Notes

1. L’injure « Versaillais » proférée par Lamothe fait allusion à la répression de la Commune de Paris en 1871. Il voit dans les gens de l’octroi des représentants de l’état et il est probable qu’il était un sympathisant des communards. Or la répression de l’insurrection des communards à Paris avait été le fait des « Versaillais » c’est-à-dire de l’armée régulière, le gouvernement siégeant à Versailles. L’injure « Corse » faisait allusion aux célèbres bandits corses et était une mise en doute l’honnêteté du fonctionnaire Leduc. Merci notamment à Amarie Donsimoni et France Apprill pour leurs remarques sur le sujet.
2. S’agirait-il de Saint-Avit-Saint-Nazaire, département de la Gironde (33), non loin de Bergerac (Dordogne [24]) ?

  • Sources : Archives communales, cote I1, art. 16, n°233
  • Photographie : L’entrée du cours Mirabeau (sur la gauche) et la Rotonde. DR.

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