Saignon, 1841 : un appel à la raison face à la maladie
En ce printemps 1841, la Provence était le théâtre d’un combat crucial et vital. À Saignon (Vaucluse), alors que la petite vérole continuait de faire des ravages, une bataille d’idées se jouait. Le public, confronté à des cas de « prétendue variole » chez des individus vaccinés, remettait en question l’efficacité du précieux vaccin. Mais face à cette vague de scepticisme, des voix s’élevaient, armées de faits et de science, pour défendre cette avancée médicale.
Un médecin de Saignon, soucieux de la santé publique, rédigea une lettre ouverte. Il souhaitait mettre en lumière une distinction fondamentale : celle entre la petite vérole, redoutable et souvent mortelle, et la « varioloïde », une forme atténuée de la maladie. Cette nuance, essentielle, permettait de comprendre pourquoi le vaccin, bien qu’il ne prévienne pas toujours l’apparition de tout symptôme, offrait une protection inestimable.
L’épidémie et ses facettes provençales
Depuis huit mois déjà, la petite vérole sévissait dans le chef-lieu de l’arrondissement. Un jeune homme non-vacciné, venu de l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), l’avait importée, et le mal se propagea rapidement dans les environs. À Saignon et ses alentours, les chiffres étaient éloquents : quatre cas de variole pure, huit de varioloïde et cinq de varicelle furent recensés depuis le début de décembre. Face à cette épidémie de pustules, la confusion régnait. Le public peinait à distinguer les nuances, mélangeant sous le terme générique de « petite vérole » des éruptions qui, malgré leur parenté, présentaient des caractères bien différents.
Pourtant, ces distinctions étaient déjà connues des initiés. Les médecins d’alors classifiaient la maladie en plusieurs catégories. Il y avait d’abord la « petite vérole » ou « variole » stricto sensu, que le peuple nommait « veirola » ou « picoto » dans certaines régions. Ensuite, ils identifiaient la « variole discrète ». Elle se caractérisait par quelques larges boutons dispersés, typiques des jeunes enfants, et portait en provençal le nom d' »esclattos« . Enfin, la « petite vérole volante », ou « verette », « verolotte », « varicelle », était connue localement sous les appellations de « veirouletto », « esclapetto », ou « veirolo foualo ».
La varioloïde : une protection efficace de la vaccine
La « varioloïde » représentait une catégorie à part. Observée seulement depuis l’avènement de la vaccine, elle constituait une sorte de chaînon entre la vaccine et la variole. Chez les individus vaccinés, cette éruption réapparaissait systématiquement sous sa forme bénigne, la varioloïde. En revanche, chez les non-vaccinés, elle pouvait soit conserver cette forme, soit, de manière alarmante, se transformer en une véritable variole, bien plus dangereuse. Les Provençaux commencèrent à la nommer « veirolo bastardo » ou « veiroulino », la « vérole bâtarde », une appellation qui soulignait sa nature hybride et souvent trompeuse.
C’était précisément cette éruption, fréquente chez les vaccinés, qui semait le doute. Pour un œil non averti, elle semblait compromettre l’efficacité de la vaccination. Mais une observation attentive révélait rapidement sa différence avec la petite vérole authentique. Les divergences entre ces deux éruptions étaient multiples. Les symptômes généraux précédant la varioloïde se montraient en général bien moins graves. L’éruption demeurait plus discrète. Les boutons, au lieu d’être plats et ombiliqués, apparaissaient arrondis et marqués d’un point central. Les pustules sortaient irrégulièrement, parfois même alors que les premières commençaient déjà à sécher. De surcroît, la durée de la maladie se réduisait presque de moitié. Finalement, les boutons ne laissaient qu’une petite tâche, laquelle s’effaçait rapidement sans laisser de marques indélébiles.
La douceur de la maladie chez les vaccinés
Chez les individus vaccinés, la varioloïde manifestait une extrême bénignité. Ils éprouvaient, certes, des symptômes similaires à ceux des varioleux, mais à un degré infiniment moindre. Une légère fièvre, quelques maux de tête occasionnels, et un petit nombre de boutons dispersés sur le corps caractérisaient leur mal. Heureusement, ces boutons disparaissaient rapidement. Il fallait également noter que les patients, pleinement rétablis en une dizaine de jours, n’avaient même pas perdu l’appétit, un signe indéniable de la légèreté de l’affection.
Le médecin de Saignon jugeait donc inutile de décrire les ravages de la petite vérole chez les non-vaccinés. Ses caractères hideux et ses conséquences dévastatrices étaient malheureusement trop bien connus. La maladie pouvait emporter les malades, ou les défigurer avec de profondes cicatrices, voire entraîner la perte d’organes importants. Son objectif n’était donc pas de dresser un tableau macabre, mais de souligner avec force la clémence de la maladie chez ceux qui avaient reçu le vaccin. La légèreté du mal, l’absence de traces durables de son passage : voilà les preuves irréfutables.
Un appel philanthropique pour l’avenir
Ces éléments, clairs et concrets, forçaient même les adversaires de la vaccination à admettre une vérité : le virus vaccin, bien qu’il ne puisse totalement prévenir l’apparition de la variole, la rendait si bénigne, si innocente que ses effets équivalaient à une parfaite préservation de la vie et de l’intégrité physique.
Le rédacteur de la lettre exhortait donc la population à ne pas hésiter. Il pressait vivement les familles environnantes de soumettre leurs enfants à la vaccination. Les catastrophes récentes qui avaient frappé de nombreux non-vaccinés imposaient ce devoir. C’était un véritable appel philanthropique, un geste de solidarité face à une maladie que la science offrait désormais de contrôler.
- Sources : Le Mercure aptésien, 4 avril 1841, p. 2, 3.
- Illustration : Le Docteur Vaccinando : préservant par sa nouvelle Méthode Madame Ango des ravages de la petite vérole, chez Bonneville, rue Saint-Jacques, no 195, entre 1794 et 1799. Bibl. nat. de France.