L’agression du garde champêtre (Mollégès, 23 juin 1872)

Le 23 juin 1872, aux alentours de 22h30, André Nay, 32 ans, garde champêtre à Mollégès (Bouches-du-Rhône) faisait sa tournée de nuit quand, arrivé sur le chemin vicinal de Noves (C’est aujourd’hui la D74), à environ 500 mètres de l’entrée de Mollégès, il aperçut près d’une ferme un individu qui volait de la paille.
À la vue du garde, le voleur prit la fuite mais Nay l’ayant poursuivi ne tarda pas à l’atteindre.

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Le garde, voyant toute résistance inutile, prit alors le parti de faire le mort et retint sa respiration. Lançon, qui était le nom du voleur, le retourna en tous sens, lui asséna encore plusieurs coups de fourche sur la tête puis, le croyant sans vie, le prit par les épaules et voulut le charger sur son dos. Ne pouvant y parvenir, il le traina pendant une vingtaine de mètres et, le saisissant par les pieds, le précipita tête première dans un vieux puits d’une profondeur de 2,50 mètres et dont l’ouverture est au niveau du sol.
Nay parvint alors à se redresser et de retrouva debout dans le puits avec de l’eau jusqu’au cou. Voyant que Nay était toujours vivant, Lançon fit pleuvoir sur lui une pluie de pierres et, pour l’écraser complètement, souleva d’énormes dalles, dont certaines pesaient entre 40 et 45 kg, qui formaient une espèce de margelle et les lança dans le puits. Par chance, Nay parvint à les éviter. Puis Lançon frappa de sa fourche et lui enfonça dans la tête les dents recourbées de l’instrument.
Nay parvint enfin à faire lâcher Lançon. Celui-ci, furieux, saisit le fusil qui était resté sur le lieu de la lutte et, le tenant par le canon, appliqua la crosse sur la tête et les épaules du garde et réunit tous ses efforts pour enfoncer sa victime sous l’eau. Nay réussit encore à s’emparer du fusil.
Au même instant, Lançon entendit venir quelqu’un et, craignant d’être découvert, il prit la fuite. Celui qui, sans le vouloir, délivrait ainsi le malheureux Nay, était le fils même de l’assassin.
Nay, tout sanglant, tout criblé de blessures, s’aida des aspérités du puits et se trouva au dehors. Il put ensuite se traîner jusqu’au mas le plus voisin où il reçut les soins que réclamait son état.
Des médecins qui examinèrent le malheureux constatèrent qu’il portait à la tête huit blessures graves mais qu’aucune ne mettait ses jours en danger.
Le meurtrier fut arrêté le lendemain matin à Cavaillon où il vendait tranquillement ses bestiaux. Confronté à sa victime, qui présentait tout de même, 62 blessures à la tête, fit l’aveu de son crime.
Fin août de la même année, Lançon, 47 ans, né à Mollégès, comparaissait devant la cour d’Assises réunie à Aix-en-Provence sous l’accusation de tentative d’assassinat commise sur un garde champêtre dans l’exercice de ses fonctions.
Une partie de son interrogatoire nous est heureusement parvenue.
Après la lecture de l’acte d’accusation, le président interrogea le prévenu :
Président : « Le 23 juin dernier au soir, n’étiez-vous pas sur l’aire de Magnan ?
Lançon : Oui, monsieur, je prenais un peu de paille pour me coucher.
Président : Est-ce que le garde ne vint pas ?
Lançon : Je ne sais pas si c’est le garde.
Président : Vous l’avez frappé, cet homme ?
Lançon : Je ne croyais pas lui faire beaucoup de mal. Ça a été un malheur.
Président : Vous ne vous rappelez pas l’avoir terrassé ?
Lançon : Non, monsieur.
Président : Tenez-vous comme il faut.
Lançon : Pardon, monsieur, si je me tiens mal, c’est que je n’ai jamais paru devant la justice.
Président : Vous avez ensuite jeté votre victime dans un puits.
Lançon : Si vous le dites, ça peut être vrai, mais je ne m’en souviens pas.
Président : Vous êtes allé chercher des pierres pour jeter sur le garde.
Lançon : Ces pierres, je ne pourrais pas les remuer seulement.
Président : Vous avez pris le tire-paille pour frapper.
Lançon : Si je l’ai fait, c’est tout à fait innocemment.
Président : Vous ne vous rappelez pas avoir quitté le puits au pas de course ?
Lançon : J’ai été tellement effrayé que j’ai couru à travers champs comme un fou.
Président : Pourquoi avez-vous nié lorsqu’on vous a arrêté ?
Lançon : C’est parce que je n’avais plus la tête à moi et que j’avais oublié… Si j’avais cru faire du mal, croyez-vous que j’aurais fait cela, moi qui ai une femme et cinq enfants ? »
Après l’interrogatoire se présenta la victime, André Nay. Il raconta dans quelles circonstances Lançon avait attenté à sa vie et confirma les accusations portées contre le prévenu.
Le procureur Albin Thourel (1800-1880). Lith. Seren. DR.
Le procureur Albin Thourel (1800-1880). Lith. Seren. DR.

D’autres témoins précisèrent ensuite le moment où le crime avait été commis ou dépeignèrent l’état de l’infortuné garde.

Le procureur général, Me Thourel, prononça alors son réquisitoire et Martial Bouteille, l’avocat de Lançon, présenta sa défense.
On accorda que le vol ne devait pas être imputé à lançon. En revanche, le verdict fut positif sur la question des coups et blessures sur un agent de la force publique avec intention de lui donner la mort. On accorda toutefois des circonstances atténuantes à l’accusé.
Lançon est donc condamné à 12 ans de travaux forcés.
Lançon, qui n’avait pas compris l’arrêt qui le frappait, demanda au gendarme ce que venait de dire le président. Ne voulant pas affliger lui-même le prévenu, le garde lui répondit que le président lui avait dit qu’il avait trois jours pour se pourvoir en cassation.
  • D’après Le Petit Journal, 31 août 1872, Le Petit Marseillais, 3 juillet 1872, Le XIXe siècle, 29 août 1872.

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