Le testament de Blaise Michelon (Rousset, 1708)

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Ci-contre :
Le vieux cimetière de Rousset.
© Jean Marie Desbois, 2003
EN CE 5 MARS 1708, En ce 5 mars 1708, le temps n’est pas très chaud dans le petit village de Rousset, situé sur le versant sud d’une montagne des Hautes-Alpes. Certes, l’altitude n’est pas très élevée, bien que des cols alentour dépassent allègrement les onze cents mètres mais, tout de même, on sent bien dans cette région isolée, loin de toute grande ville, les rigueurs habituelles du froid.
Cet hiver n’a pas été des pires, et ce n’est que l’année prochaine que l’on devra faire face à l’une des saisons les pires de l’histoire, qui restera gravée dans la mémoire collective sous l’appellation « hiver des loups » où l’on verra des loups s’aventurer dans les rues des villages à la recherche de nourriture.
La froidure de cette année aura fait du mal pourtant au vieux Blaise Michelon. Ce robuste cultivateur n’est certes pas bien âgé, mais il approche tout de même la soixantaine, un âge que d’aucuns jugeront fort respectable en une époque où les privations et les maladies fauchaient leur contingent de vies. Cette fois, il sent que le mal qui l’a jeté au lit ne lui permettra plus de s’en relever.
Le vieux notaire de Rousset, Mathieu Disdier, marche à grandes enjambées dans le village puis il se dirige sur un mauvais chemin qui le conduira à la campagne du pauvre Michelon, situé au mas des Glaisoles [1]. Si la douleur empêche le vieil homme de se lever, il conserve néanmoins toutes ses pensées et son intelligence, son «entendement» comme on dit ici. Se sachant proche de la mort, il a convoqué ses amis dont il veut faire les témoins de tout ce qu’il va dire. Il avait fait un testament quelques années auparavant, un jour où, comme aujourd’hui, il se sentait sur le point de passer de vie à trépas. Mais cette fois-ci, non, c’est bien trop sérieux, il sait que ses mots vont décider du sort des siens. Jacques Mazet, le curé, est là, bien entendu, ainsi que les amis du vieil homme, Claude Martin, le fils du défunt Anthoine, Jean Mauduech, Antoine Pons, fils d’Estienne. Même ce bon vieux Arnoux Soubra a répondu à l’appel de son ami et a accepté de faire la route depuis Valserres pour venir une dernière fois serrer la main du Blaise.
Une fois tout ce petit monde réuni, on fait sortir femme et enfants, le notaire ouvre son recueil d’acte et, de sa plume, va rédiger les dernières volontés de l’homme qui gît dans son lit. Après avoir rappelé sa volonté d’être inhumé auprès de ses ancêtres dans le vieux cimetière près de l’église, Blaise indique que ses funérailles sont déjà réglées et qu’il a prévu une somme de 36 livres qui y pourvoira. Ce faisant, il nomme ledit Reymond Michelon exécuteur de son testament. Celui-ci veillera à ce que les volontés de Blaise soient respectées à la lettre.
La première personne à laquelle pense Blaise est son dernier fils, celui qui est né de sa première femme, Arthaude Souchon. Ce fils, Joseph, «légitime et naturel», occupe vraisemblablement une place de choix dans le cœur de son père, étant le seul que lui a donné cette femme aujourd’hui disparue. A lui, il accorde la somme de 300 livres, se répartissant en 100 livres versées le jour de son mariage ou, à défaut de mariage, le jour de ses vingt-cinq ans, et le reste en dix annuités de 20 livres.
De sa femme, Arthaude Bayle (née vers 1655), Blaise a eu quatre enfants supplémentaires, un garçon d’abord, Claude, en 1683, puis trois filles, Catherine (née en 1686), Marie (née en 1690) et Suzanne (née en 1691).
A Catherine et à Suzanne, deux filles de vingt-deux et dix-neuf ans, il donne la même somme : 240 livres, réparties en 75 livres le jour de leurs noces, puis en dix-huit annuités de 9 livres, enfin une dernière annuité de 3 livres. Jusqu’à leur mariage, toutefois, leur père ordonne qu’elles soient entretenues et vêtues. Elles pourront en outre garder les sommes qu’elles avaient gagnées tout au long de ces années «par leurs labeurs et travaux». Si toutefois, elles n’étaient pas mariées à vingt-huit ans, elles seraient en droit de réclamer leur dû.
Si Marie n’est pas incluse dans ces prescriptions, c’est qu’elle est mariée depuis quelques années déjà à Jacques Isnard, de Chorges. L’amour paternel empêche toutefois Blaise d’oublier cette fille. Il lui accorde 1 livre et 10 sols, «incontinent après son décedz et en reconnoissance des agréables services qu’elle a reçus de la dite Arthaude Bayle».
On imagine l’émotion du vieil homme dictant ses dernières volontés au notaire Disdier lorsqu’il va parler de sa femme, Arthaude. Il lui lègue son habitation, la nourriture et l’entretien qui s’y trouvent. De plus, anticipant les malheurs de l’âge et ses incapacités, il prévoit de lui donner une pension viagère de deux charges de blé, de froment et de méteil, de deux charges de vin «pur et franc», de nouveaux bas, chemise, tablier et couvre-chef tous les ans, d’une nouvelle robe tous les trois ans. A cela il ajoute un versement annuel et à vie de 6 livres. Arthaude devra vivre dans le confort et la facilité. Pour ce faire, Blaise lui accorde la « faculté de prendre du bois au bûcher et du jardin, sans abus, et des meubles pour ses usages. »testament-michelon
Enfin, Blaise dicte ses intentions vis-à-vis de son héritier universel et particulier, son fils «aîné, légitime et naturel» «honnête Claude Michelon». Ce titre de «honnête» fait allusion au statut particulier de ce fils dans le cœur de son père, que l’on peut traduire comme une véritable marque de respect. On dirait aujourd’hui «Monsieur» Claude Michelon. Celui-ci héritera de tout le reste, dettes comprises ! Le titre d’honnête peut bien porter cela !
L’histoire ne dit pas si toute la famille fut satisfaite des volontés du pauvre Blaise. Le notaire fit signer son registre à tous les témoins. Les uns après les autres, tous firent leurs adieux au vieux paysan. La porte se referma. Chacun reprit ses activités et Blaise quitta ce monde quelques semaines plus tard.
Photographie de la première page du testament de Blaise Michelon empruntée au site de Didier Verlaque, avec son aimable autorisation.

[1] Situation sur une motte aujourd’hui inhabitée, à quelques centaines de mètres au nord-est de Rousset.

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