Les enfants dans la Provence d’hier

enfant-william-bouguereauChez les enfants, les maladies étaient extrêmement redoutées. Combien étaient-ils en effet à ne pas atteindre l’âge de cinq ans, emportés par un mal contre lequel on ne pouvait rien. Aussi, la médecine populaire était vivement recherchée dans chaque situation angoissante. Parents et amis administraient fréquemment lotions et onguents pour soigner le moindre mal (voir le tableau ci-dessous).
Une fois que l’enfant avait passé quelques années, on pouvait estimer qu’il avait de bonnes chances de survivre. On commençait donc à en faire un adulte. Pour ce faire, on pouvait le mettre à l’école du village, quand on n’avait pas besoin de lui au champ. C’est ainsi que les écoles se remplissaient en hiver et étaient vidées à la belle saison. Dès que l’enfant avait un peu de force physique, garçon comme fille, il effectuait de menus travaux pour aider à la bonne marche de la maison : glanage lors des moissons, ramassage des javelles, travaux ménagers dans la maison.

La mort d’un parent

Tout généalogiste sait bien qu’il était très fréquent qu’un enfant perde l’un de ses parents avant de devenir adulte. La mère pouvait mourir en couches ou le père d’un accident dans les champs, et soudain le foyer se réduisait. Si cette situation endeuillait la famille, la vie reprenait vite son cours avec le remariage fréquent du conjoint survivant. Mari et femme avaient des tâches bien déterminées dans le foyer et il était important que la famille soit toujours dirigée par un couple, quitte à devoir le recomposer à la suite d’un décès.
Un exemple l’illustre bien : en 1792, Pierre-François Arduin se marie dans une petite ville des Hautes-Alpes et reçoit de sa femme deux enfants. Malheureusement, celle-ci meurt alors que l’aîné a une douzaine d’années et Pierre-François se remarie en 1810. Cette nouvelle femme lui donne plusieurs nouveaux enfants. Alors que les premiers enfants sont devenus adultes, Pierre-François a des garçons et des filles de moins de trois ans lorsque sa seconde épouse meurt. Il se remariera donc une troisième fois, afin que ses jeunes enfants puissent être élevés par une femme. En 1835, elle mourra, après douze ans de mariage. Pierre-François, apparemment, en restera là. Ses enfants sont suffisamment grands. Il décèdera en 1848, à l’âge de soixante-quinze ans, trois fois veuf.
Heureusement pour les enfants du premier mariage, leur entretien était quasiment toujours prévu lors des contrats de (re)mariage.
Quelques maux enfantins et la façon dont on les traitait autrefois en Provence :
Anémie : boire de l’eau dans laquelle on a laissé rouiller des clous.
Constipation : décoction de tranches de pommes séchées, dites pouote.
Convulsion : mettre un collier de grains d’ambre.
Coupures : appliquer un pétale de lys macéré dans de l’alcool.
Diarrhées : blanc d’oeuf battu en neige dans du tilleul non sucré.
Méningite : la moitié d’un pigeon chaud posé sur la tête.
Premières dents : racine de guimauve.
Rages de dents : cataplasme d’escargots écrasés appliqué sur la joue.
Rougeole : mettre le malade dans des draps rouges et dans une chambre décorée de rouge ; appliquer sur sa poitrine une peau de lapin chaude.
Scarlatine : mettre un crapaud sous le lit.
Toux : boire de la bave d’escargot sucrée.
Vers intestinaux : mettre à l’enfant un collier de trois ou sept gousses d’ail.

Ces remèdes anciens sont donnés à titre d’information et ne sauraient être utilisés aujourd’hui sans l’avis d’un médecin.

Le vêtement

En Provence, particulièrement aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’enfant était vêtu à la manière des adultes. Ainsi, de 1750 jusqu’à la Révolution environ, les petites filles portaient la « chanoinesse »1 comme leur maman. Jusqu’à l’âge de sept ou huit ans, les enfants, garçons et filles, portaient généralement un bonnet à trois quartiers blanc ou ivoire, en tissu d’indienne. Dès que l’enfant marcherait, on prendrait soin d’ajouter à ce bonnet un frontaou, petit bourrelet de paille appliqué au front pour empêcher les bosses.
Après la Révolution, on fait porter aux enfants le droulet, un casaquin à quatre longues basques droites. Certains musées en possèdent, tel le Museon Arlaten, à Arles. Le droulet s’enfilait par-dessus de petits coursihouns de couleurs variées, généralement de ton brun. Les manches du droulet s’arrêtaient peu au-dessus du coude. À Arles, les petits garçons qui n’étaient pas encore propres le portaient sur des pantalons fendus devant et derrière, pour prévoir toute éventualité !
Dans la plupart des communes de Provence, les enfants du XIXe siècle, garçons comme filles, portaient la jupe jusqu’à six ou sept ans.

Les jeux

Les jeux sont indissociables des activités enfantines et ce n’est pas notre époque moderne qui les a inventés. Dès que l’enfant était en âge de comprendre ce qu’on lui disait, parents et amis lui racontaient de petites histoires à thèmes variés. C’était souvent le moyen de lui apprendre le monde qui l’entourait. Citons par exemple une comptine que l’on chante en montrant un par un chaque doigt de la main :
Aquèu vai laboura.
Aquèu tèn l’aguiat.
Aquèu boulis.
Aquèu roustis.
E lou pichot, riquiqui,
éu, n’én manjo pas gis !
Celui-ci va labourer (pouce)
Celui-ci tient l’aiguillon (index)
Celui-ci fait le bouilli (la soupe) (majeur)
Celui-ci fait le rôti (annulaire)
Et le petit, le tout-petit,
lui, n’en mangera pas !

En voici une variante, entendue aussi à Marseille :
Aquèu vai a la casso
Aquèu fricasso
Aquèu fai lou bouli
Aquèu fai lou rousti
et lou pichot riquiqui
que rai caire de vine e n’en tosto zé !
Celui-ci va à la chasse
Celui-ci fricasse
Celui-ci fait le bouilli
Celui-ci fait le rôti
Et le tout-petit
Qui va chercher du vin et ne le goûte pas !
Il existait une multitude de jeux dont l’immense majorité ont aujourd’hui disparu et que l’on est bien en peine d’identifier. Frédéric Mistral, par exemple, jouait dans son enfance (vers 1840) à la marelle, à coupe-tête et au cheval-fondu (un jeu non identifié). Les petites filles préféraient leurs poupées aux jeux de plein air qu’affectionnaient les garçons. « Nous faisions des fouets, des sifflets, des trottoirs, des fifres, nous coupions des scions, des baguettes. Nous jouions aux palets, aux noisettes… Le dîner n’était pas fini que là, sous les yeux de ma mère, nous nous mettions de nouveau à jouer. Nous jouions aux cinq pierrettes ou à la marelle que nous aimions tant… »2
À mesure que les années passaient, les garçons de la maison prenaient du poids dans la cellule familiale et finissaient par remplacer le père, lorsque celui-ci était décédé, jusqu’à leur propre mariage.

Bibliographie

« Histoire de la France rurale », t. 2,, sous la dir. de Georges Duby, Le Seuil, 1975.
« Traditions populaires de Provence », t. 1, Claude Seignolle, Maisonneuve & Larose, 1996.
« Le Folklore français », Arnold van Genep, A. et J. Picard, 1943, 1946, 1948 ; Robert Laffont, 1998.
« Les Enfants provençaux », Marie-Claude Monchaux, Ouest-France, 1978.
« Le Briançonnais rural aux XVIIIe et XIXe siècles », Nadine Vivier, L’Harmattan, 1992.

Notes

1. Marmotte de dentelle tuyautée encadrant tout le visage.
2. Batisto Bonnet, Vido d’enfant, éd. La Tourmagne.

Illustration : William Bouguereau, « La Leçon difficile », 1884.

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