Monsieur Seguin a-t-il vraiment existé ?

Lequel d’entre nous, petit, n’a jamais frémi aux terribles aventures de Blanquette, la chèvre de monsieur Seguin, racontée en 1869 par Alphonse Daudet ? Qui n’a jamais tremblé à la simple évocation du loup ? « Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance… »
Triste destin que celui de cette petite chèvre qui avait décidé de s’affranchir des contraintes de la vie de la ferme.
© Kadmy - Fotolia.com
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Mais à la lecture de ce conte, quand la plupart se contenteront de faire la morale à leur enfant à l’issue d’une lecture effrayante, on pourra toutefois se demander si ce conte n’a pas une part de réalité. La question pourrait sembler saugrenue de prime abord et pourtant, réfléchissons un instant :

Lorsqu’il écrit cette histoire, Alphonse Daudet est un habitué de son moulin de Fontvieille dans lequel il séjourne régulièrement. Il connaît un grand nombre de ces paysans qui habitent le village et il est plus que probable que certains de ces personnages qu’il dépeint avec tant de charme dans ses contes aient eu leur pendant dans la réalité.
Quand il évoque maître Cornille, sait-on que le patronyme Cornille abonde dans les Alpilles ? Et Seguin, alors ?
Un examen rapide des tables décennales de Fontvieille laisse apparaître que le nom Seguin, sans être fréquent dans cette région, y apparaît. Et davantage à Fontvieille que dans les communes limitrophes. La tentation est trop belle pour ne pas tenter une recherche…
À vrai dire, je ne me suis pas posé la question sans raison. C’est que d’autres se la sont posée avant. L’un d’eux, un célèbre érudit local, Honoré Coudière, décédé à la fin du siècle dernier, a recherché l’identité de ce fameux monsieur Seguin. Et pourrait bien l’avoir trouvée…

Un loup à Fontvieille ?

L’argument selon lequel le conte de Daudet serait totalement imaginé, car les loups avaient quitté Fontvieille depuis belle lurette à cette époque, se trouve écorné par le fait avéré qu’au milieu du XIXe siècle, en plein cœur du village, rue… Alphonse-Daudet (tiens, tiens !), eut lieu un événement particulier : Il y a dans cette rue un puits encore visible aujourd’hui dans lequel était allé se réfugier le dernier loup aperçu dans la contrée et que les habitants avaient voulu poursuivre. L’endroit n’avait pas assuré protection à la pauvre bête puisqu’elle y fut mise à mort par un berger, Jean Peyre, et sa peau fut exposée dans une maison près de la Tour des Abbés, maison encore dénommée de nos jours La Pèu seco (« La Peau sèche »). C’est la dernière fois qu’on vit un loup à Fontvieille.
Or, le jour précisément de la mort de ce loup, Alphonse Daudet était à Fontvieille et il est certain, ou quasi certain, qu’il a vu la bête morte. Ou tout du moins qu’il en a entendu parler car il était un grand ami du maire Timoléon Ambroy.
L’idée d’un loup à Fontvieille et, partant, dans le conte, n’avait donc rien d’anachronique sous la plume de l’homme de lettres.

Et monsieur Seguin ?

Monsieur Seguin a bien existé. Honoré Coudière l’affirmait et de nombreux habitants du village aussi.
Quand Daudet écrit Les Lettres de mon moulin, il y a à Fontvieille un berger nommé Jean Seguin qui correspond en tout point au monsieur Seguin de l’histoire.
Ce Jean Seguin est né à Tarascon le 9 avril 1835, fils de François Seguin (né en 1809) et de Magdeleine Chauvet (morte en 1853). Tarascon se situe à quelques kilomètres de Fontvieille et le jeune Jean faisait souvent le trajet jusqu’à Fontvieille où il rencontra une jeune fille du village, Élisabeth Bertrand (née en 1834).
Signature de Jean Seguin (1857).
Signature de Jean Seguin (1857).
Les deux jeunes gens se marièrent à Fontvieille le 20 avril 1857 et, dès lors, le couple s’installa là, Jean abandonna sa profession de cultivateur et devint berger, menant ses chèvres dans les collines autour du moulin et rencontrant Daudet à de multiples reprises. C’est de cette rencontre qu’a germé dans l’esprit du conteur l’histoire de cette chèvre téméraire.
Restait à localiser le récit.
Il se trouve qu’il y avait au pied du moulin un petit vallon au milieu duquel se dressait un petit mas. Ce mas était entouré d’un clos et dans le champ poussaient des aubépines. Il a appartenu au père d’Honoré Coudière, forcément bien placé pour en parler.

Ainsi donc, monsieur Seguin a bien existé. Ce brave berger est mort en 1912 à Fontvieille sans s’imaginer qu’on parlerait de lui dans le monde entier pour les décennies et peut-être les siècles à venir…

Connaissez-vous le livre Derraba, retour à Fontvieille, de N. Gilles-Richard, publié par GénéProvence en novembre 2012 ?

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