Un adultère aux champs ! (Aix-en-Provence, 17 mai 1894)

Le 17 mai 1894, une drôle d’affaire est jugée au palais de justice d’Aix-en-Provence. Le Mémorial d’Aix s’en fait l’écho : 
© Rafa Irusta – Fotolia.com

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Un jour le commissaire central d’Aix, l’honorable M. Granon, ainsi que le brigadier des gardes champêtres, le frétillant M. Mandin, furent requis pour aller constater un adultère à la campagne, à 7 ou 8 kilomètres d’Aix.
Ils partirent donc, dès l’aurore, esclaves du devoir, non sans fredonner entre leurs dents les vers de Nadaud :

C’est un métier fort difficile
De défendre la propriété,
Protéger les champs et la ville
De l’adultère et de l’iniquité.

— Nous voici arrivés ! soupira Mandin sans faire résonner l’horizon.
— Brigadier, répondit Granon, brigadier, vous avez raison !
Les deux représentants de la justice se trouvèrent en effet devant une petite bastide et heurtèrent discrètement à la porte du logis.
— Qui est là ? cria une voix masculine.
— Au nom de la loi, ouvrez ! répondit le commissaire.
Et à ce moment et presque simultanément, parurent à la fenêtre de la même chambre une tête d’homme, puis une tête de femme

                          … dans le simple appareil.
D’une jeune beauté qu’on arrache au sommeil.

Une fois entré le commissaire de police d’Aix procéda à l’interrogatoire des délinquants.
— C’est votre femme… cette demoiselle que voilà ?
— Non, c’est ma domestique.
— Et vous faites lit à part ?
— Certainement… comme elle est un peu fatiguée je lui cède le lit. Quant à moi, je vais coucher à la paillière. On est galant homme ou on ne l’est pas !
— C’est drôle tout de même : vous avez paru à la même fenêtre de la même chambre et l’on aurait dit que vous aviez été réveillés en sursaut. Alors c’est bien vrai, vous ne couchez pas ensemble ?
— Si c’eût été l’hiver, histoire de se réchauffer, je ne dis pas… mais l’été… oh ! chaleur !
— C’est bon… en effet, le lit ne marque qu’une seule place et il y a des intimités… si secrètes et si cachées… qu’il est inutile d’approfondir ! Nous nous retirons !
Les deux coupables, non, les deux victimes de l’amour, étaient assis sur la sellette et avaient à répondre du péché mignon que l’on sait.
LA FEMME LÉGITIME DU PRÉVENU. Monsieur le président, la vie commune m’était devenue insupportable. Mon mari, monsieur que voilà, m’en faisait voir de toutes les couleurs. Oui, sous mes yeux, au domicile conjugal, il avait des maîtresses… au point que j’ai abandonné ledit domicile.
LE PRÉSIDENT (au mari). Est-ce vrai ce que dit votre femme ?
— Elle amplifie et dit… des choses énormes !
LE PRÉSIDENT (au mari). Ce n’était que votre bonne, la jeune fille qui logeait chez vous ?
— Parfaitement, je lui donnais quarante-cinq francs par mois et elle était chargée de… tous les soins du ménage.
LA BONNE. Je lui faisais tout ce qu’il faut à un homme (sic !).
Comme épilogue de cette petite cause grasse qui a égayé tout l’auditoire, les deux délinquants ont été condamnés chacun à 100 francs d’amende et aux dépens.