Un crime épouvantable (Pertuis, 21 octobre 1861)

En 1861, un journaliste relate pour Le Mémorial d’Aix un horrible fait divers survenu à Pertuis (Vaucluse) :

« Léonard Claude Alphonse, né à Saint-Saturnin-lès-Avignon, le 2 juillet 1830, était marié en secondes noces, depuis environ un an, avec la veuve Tamayon Marguerite Véronique, âgée de trente-deux ans. Il est arrivé à Pertuis en 1858 et habite depuis le 29 septembre une ferme éloignée d’environ un kilomètre de la ville, quartier de la Tuilière. Il exploite aussi depuis environ deux ans une parcelle de terre dépendant de la propriété de Mme veuve Fabre, au quartier de Champ-d’Éguille. Cette dernière ferme, située à quatre kilomètres de Pertuis, est inhabitée. Elle sert d’entrepôt pour les récoltes de divers fermiers, et Léonard n’y avait droit qu’à une pièce au premier étage ainsi qu’à la jouissance indivise d’une remise et d’une écurie.
Pertuis-Vue-generale

Les antécédents de Léonard ne sont pas trop défavorables. Il était cependant d’un caractère irascible, s’acharnait souvent contre son mulet rétif et battait même quelquefois sa femme. On savait que, dans ces derniers temps, il voulait forcer celle-ci à donner des garanties hypothécaires à divers créanciers et que des scènes violentes avaient eu lieu à ce sujet.
Lundi matin, 21, Léonard est apporté à l’hospice de Pertuis sur une charrette conduite par le sieur Bounaud, son voisin de ferme. Il est littéralement couvert de sang des pieds à la tête. Il porte au-dessous du maxillaire inférieur droit une blessure qu’il attribue à un coup de feu qu’on lui a tiré à 2 mètres de distance au moment où il allait revenir de la ferme de Champ-d’Éguille. Il raconte qu’il est tombé sous le coup et que ce n’est qu’à une heure du matin qu’il a pu se traîner jusqu’à une maison de campagne voisine, chez M. Bounaud, pour demander du secours. Il garde le silence au sujet de sa femme et de ses enfants. Il est calme, explique son accident avec beaucoup de sang-froid, et répond aux questions qu’on lui adresse avec un aplomb imperturbable.
À l’examen de sa blessure, les hommes de l’art reconnaissent qu’elle est produite par une arme à feu chargée seulement à poudre et sans bourre. L’aspect de la plaie est noirâtre ; c’est une simple brûlure déterminée par l’explosion.
Pendant ce temps, la police et la gendarmerie se transportent à la ferme de Champ-d’Éguille. Tout y est tranquille au-dedans et au-dehors. On monte à l’appartement de Léonard. La porte est consumée par le feu ; la toiture s’est écroulée et une forte odeur de chair brûlée se dégage d’un tas de décombres encore enflammés. On éteint l’incendie et les fouilles commencent.
On découvre d’abord un corps carbonisé, ayant la tête fracturée au crâne. On suppose que ce corps privé de ses membres est celui de la femme Léonard. Bientôt on se trouve en présence d’un amas informe de chairs calcinées. Deux nouvelles têtes humaines indiquent que trois victimes ont péri dans la flamme. On continue les recherches et elles amènent la découverte des entrailles, des poumons et du foie d’une personne adulte reposant sur un fond de panier d’osier dont les parois ont été dévorées par le feu.
L’information médico-légale établit que la femme Léonard avait la tête séparée du tronc, mais intacte quoique carbonisée, que son corps avait été dépecé et les membres dispersés sur le bûcher. Les entrailles trouvées sur le fond du panier ont été reconnues pour être ceux de cette femme.
L’autopsie de la matrice a laissé voir deux fœtus paraissant avoir environ trois mois. Le fils de Léonard avait la tête écrasée, les bras et les jambes séparés du tronc. Le fils de la femme Léonard, veuve Tamayon, avait la tête, les bras et les jambes séparés du corps et le crâne brisé. Les extrémités de tous les membres, soit de la mère, soit des enfants, ont été trouvées brûlées, calcinées et éparses pêle-mêle dans les cendres.
Un couteau de cuisine pointu à longue lame, un couperet-serpe dit fauciou, qui paraissait avoir servi au meurtrier pour saigner et dépecer les victimes, gisait parmi les décombres. À côté dé ce couperet et près de ce monceau de débris humains, on a trouvé le fond d’un seau en fer-blanc dessoudé par l’action du feu et contenant du sang calciné provenant évidemment des trois victimes.
À l’angle nord de cette pièce, un fusil simple était étendu sur le sol, parallèlement au mur de face, le bois brûlé à la sous-garde et séparé du canon. Près de la crosse, on remarquait des traces de sang que l’incendie n’avait pu détruire. À côté était une lampe qui paraissait avoir servi à éclairer cette boucherie atroce. À peu près au centre de la pièce, un chandelier reposait sur le sol et, dans une armoire, l’on voyait encore un pistolet déchargé depuis peu et dont la capsule brisée adhérait encore à la cheminée.
Des mares de sang couvraient le plancher et des traces sanglantes, imprimées sur chaque degré de l’escalier, se dirigeaient vers la porte et ne s’arrêtaient qu’à la maison de campagne Bounaud, où Léonard était venu demander du secours pour sa blessure.
sang-couteauQue s’est-il passé dans cette nuit d’horreur ? Trois cadavres sont là, étendus, coupés, hachés, tordus, brûlés, calcinés par les flammes. Deux jumeaux étouffés dans le sein de leur mère gisent parmi les décombres.
Quel est l’auteur de cet épouvantable forfait, qui a allumé l’incendie pour anéantir les preuves de sa culpabilité ? Dieu seul et le meurtrier connaissent les détails de ce drame affreux. Car Léonard nie le crime, il ne verse pas une larme et ne donne pas un souvenir à sa femme et à ses enfants.
Mais la justice informe et nous espérons qu’elle connaîtra bientôt la vérité tout entière.
Au moment où je vous écris, a lieu le convoi funèbre des victimes réunies dans un même cercueil. Le clergé en entier, M. le procureur impérial d’Apt, M. le maire de Pertuis et son adjoint, M. le juge de paix, M. le commissaire de police, la gendarmerie et toute la population plongée dans la consternation, assistent à ces lugubres funérailles.

Suites de l’affaire

Évidemment, tout porte à croire que Léonard est bien le coupable de ce crime épouvantable et les jurés de la cour d’assises de Carpentras se prononceront quelques mois plus tard en faveur de sa culpabilité. Condamné à mort, il sera exécuté sur la place Mirabeau. Son exécution est relatée dans le fait divers :

Identité des victimes

Le registre d’état civil de Pertuis nous apprend l’identité des victimes :

  1. Marguerite Véronique Tamayon, née à Pujaut (30), domiciliée à Pertuis, âgée de 32 ans, épouse en premières noces d’André Mercier et en secondes d’Alphonse Claude Léonard, fille de feu Jean-Joseph Tamayon et de feue Marie Boutal.
  2. Pierre Léonard, né à Saint-Saturnin-lès-Avignon (84), âgé de 8 ans, fils d’Alphonse Claude Léonard et de feue Marie-Louise Chastan, décédée à Pujaut (30).
  3. Xavier Mercier, né à Pujaut (30), âgé de 6 ans, fils de feu André Mercier, décédé à Pujaut, et de feue Marguerite Véronique Tamayon.

Meurtres auxquels il faut ajouter ceux des deux fœtus dont le décès n’est administrativement pas enregistré.

 

  • Source: Le Mémorial d’Aix, 27 octobre 1861.
  • Photographies : Pertuis au début du XXe siècle. DR. – Image courtesy of Boaz Yiftach / FreeDigitalPhotos.net