Un éléphant tué par le mistral (Aix-en-Provence, 14 décembre 1895)

  • Le Mémorial d’Aix, 22 décembre 1895, n°102
« L’un des principaux sujets du grand cirque qui est resté deux jours à Aix, l’éléphant si bien dressé, si amusant dans son rôle de sergent, est mort samedi dernier dans une écurie sombre et située en contrebas, sur le cours Sextius.

© Margot Wolfs, 2009,  avec son aimable autorisation.
© Margot Wolfs, 2009,
avec son aimable autorisation.

Habitué au soleil des tropiques, le pauvre animal a été surpris par le froid du dernier mistral et a succombé malgré les soins empressés des vétérinaires dont un avait été envoyé de Nice par le directeur de Cirque.
Par une délicate attention, l’impresario avait laissé auprès de son sergent femelle son compagnon mâle. Attention vaine, hélas ! d’autant plus vaine que ledit compagnon a failli à son tour mourir de chagrin.
Dimanche, le cadavre de l’éléphant empestant le voisinage, on requit l’équarisseur qui, naturellement, dut procéder sur place au découpage de l’énorme bête. Avant de se livrer à cette opération licite, les gardiens du compagnon voulurent lui éviter la vue de ce spectacle si pénible pour son coeur d’éléphant. Ce fut en vain. Dès qu’on avait réussi à lui faire tourner la trompe du côté de la porte, l’inteligent animal, pour prouver qu’il ne voulait pas abandonner sa compagne, s’empressait de tourner le dos. De guerre lasse, on se contenta de placer une toile afin de lui cacher la vue du sang.
Cet éléphant est encore à Aix. Lundi, on le conduisit à l’octroi pour de là le faire passer au chemin de fer. Aucun fourgon n’étant assez haut pour sa grandeur, il a fallu télégraphier à Paris. Les ingénieurs se sont livrés à des calculs savants, ont indiqué quelle devait être exactement la hauteur d’une cage qui, placée sur un wagon plat, pourrait passer sous les tunnels. Et aussitôt que cette cage, qui devra être d’une solidité à toute épreuve, sera prête, on y fera entrer l’artiste en congé.
Ajoutons que le mâle éléphant paraît en bonne voie de guérison : il ingurgite chaque matin cinquante kilos de foin et la même quantité à son dîner. Entre temps, il avale des chaudrons de pommes de terre bouillies et autres légumes ad hoc. »