L’affaire du Marseillais (Aix-en-Provence, 4 juillet 1873)

  • Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, I1-15, n°338, 339, 342 et 349

6 juillet 1873

L’an mil huit cent, etc.

Devant nous, Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
Se sont présentés les sieurs Olivier Pierre, marchand de toile, rue Frucherie, n°60, et Fouquet Pierre Jean Baptiste, cultivateur, rue du Puits-Neuf, n°52, à Aix, tous les deux membres de la confrérie du Tiers-Ordre des Dominicains, lesquels nous ont fait la déclaration suivante :
« Dans le courant de la semaine dernière, du 25 juin dernier à ce jour, des malfaiteurs se sont introduits dans notre chapelle, située avenue du Boulevard Zola, à l’aide d’escalade et d’effraction. Ils ont ouvert et bouleversé tous les tiroirs et objets du culte qui sont dans la sacristie, sans rien prendre, ouvert le tabernacle où, très heureusement, le saint ciboire ne se trouvait pas, puis fracturé le tronc qui se trouve au bas de la chapelle et dans lequel il pouvait y avoir au plus une somme de 2 francs. Ils sont ensuite sortis par la porte de la chapelle qui donne dans l’avenue du Boulevard Zola et qui est toujours fermée à l’intérieur par deux verrous.
« Nous ne pouvons préciser le jour du vol ni donner des renseignements sur les auteurs, attendu que, depuis dimanche dernier, [nous] ne sommes pas venus à la chapelle et que ce n’est que ce matin qu’ayant trouvé les grandes portes de ladite chapelle ouvertes, nous avons constaté les faits dont nous nous plaignons. »
Nous nous sommes transporté sur les lieux, assisté des plaignants et avons constaté ce qui suit :
Les malfaiteurs se sont introduits dans la chapelle en franchissant, au nord, une clôture, dite de chemin de fer, qui borde l’avenue, accoudée au jardin du sieur Jarjaille (1), mitoyen de celui de la chapelle dont la clôture est insignifiante, en forçant une porte de la sacristie qui donne au sud dans le jardin et, en faisant sauter la serrure d’une seconde porte intérieure dont l’un des montants est brisé.
Dans la chapelle, la clef est à la porte du tabernacle et un ornement dérangé indique qu’il a été fouillé par les malfaiteurs. Au fond, le tronc en fer, dont la serrure n’a pu sauter, est forcé dans le haut et dans le bas, d’où les malfaiteurs ont pu facilement soustraire ce qu’il contenait et que les plaignants évaluent à environ 2 francs, le tronc ayant été vidé il y avait peu de temps.
Les plaignants ne peuvent donner aucun indice sur les auteurs de ces faits.
Fait à Aix, etc.

***

7 juillet 1873

L’an mil huit cent, etc.

Devant nous, Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
A été amené par nos ordres et sur les renseignements fournis par les agents de police Courbon et Frindel, le nommé Sijéas Marcellin Étienne, âgé de 16 ans, né au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône), fils de Étienne et de Adélaïde(2), comme étant l’un des auteurs du vol commis à la chapelle des Dominicains, boulevard et avenue Zola. Après de nombreuses dénégations, le sieur Sijéas nous a déclaré ce qui suit :
« Je ne connais que depuis un mois, sous le nom du «Marseillais», un individu de taille moyenne, âgé de 30 ans, brun, moustaches noires, coiffé d’un chapeau noir souple, vêtu d’une veste noire, d’un gilet à carreaux, d’un pantalon noir, et chaussé de souliers bottines avec élastiques. Très souvent, nous avons couché ensemble dehors avec mes camarades Roux, Daniel Flech, et lui qui nous conduisait. Le vendredi 4 juillet courant, vers neuf heures du soir, nous nous sommes réunis sur la place de l’Hôtel de Ville et, en passant par diverses rues, sous la conduite du Marseillais, nous nous sommes dirigés vers la chapelle des Dominicains, que ce dernier avait choisi pour but de l’expédition «de la campagne».
« Le Marseillais est sauté le premier par-dessus une barrière comme celles des chemins de fer, qui longe l’avenue pour entrer dans le jardin de la chapelle, et nous avons tout fait comme lui. Il a forcé la porte qui conduit à la sacristie et nous l’avons suivi. Il a ensuite fracturé le tronc de la chapelle sans que je puisse dire avec quoi, mais je ne sais pas l’argent qu’il y a pris et il ne nous a rien donné. Il a tout fait à lui seul et il ne m’a rien donné. Il nous a fait voir dans le jardin cinq à six billets de 100 francs.
« Après l’opération, nous avons couché ensemble dans un tas de paille à la campagne. Je sais que, le lendemain, il a pris le train qui va à Marseille. Je n’ai pris part à aucun autre vol dans les bastidons ou les maisons de campagne, mais je ne sais pas ce que mes camarades ont pu faire lorsque je n’étais pas avec eux.
D. – Pourquoi, au début de votre interrogatoire, m’avez-vous dit que vous étiez allés dans les bastidons, mais jamais dans les chapelles ?
R. – Je me suis trompé. Je suis allé dans la chapelle, mais jamais dans les bastidons. Je vivais du peu de travail que je trouvais en ville et de ce que donnent les Capucins.

[Le commissaire de police]

***

Aujourd’hui huit juillet a été amené devant nous par l’agent Courbon, le sieur Roux Joseph, âgé de 18 ans, né à Aix, fils de Barthélemy et de (2), ouvrier cordonnier sans domicile fixe, qui nous a fait la déclaration suivante :
« Je me trouvais avec mes camarades Sijéas et Daniel, avec le Marseillais que je voyais pour la première fois et qui nous a payé à boire en faisant sonner l’argent dans sa poche, mais je ne suis entré ni dans le jardin ni dans la chapelle, et je ne sais pas ce que le Marseillais y a fait. Je faisais le guet dehors avec mes camarades pendant qu’il faisait dans la chapelle ce que je ne sais pas. »
A la suite de ces interrogatoires, nous avons fait déposer à la maison d’arrêt les sieurs Sijéas et Roux pour y être tenus à la dispositions de M. le Procureur de la République.
Fait à Aix, etc.

***

9 juillet 1873

L’an mil huit cent, etc.
Devant nous, Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
A été amené par M. l’inspecteur de police Sève et l’agent Dalmas, le sieur Staat Daniel, âgé de 17 ans, né à Bagnol (Gard), fils de Daniel et de Claire Caplais, vannier, domicilié chez son père, rue des Muletiers, n°10, à Aix, prévenu de complicité dans le vol avec escalade et effraction commis le 4 juillet courant, à la chapelle du Tiers-Ordre des Dominicains à Aix.
Le sieur Staat nie formellement toute participation au vol ci-dessus énoncé. Il dit ne pas connaître le Marseillais et ne l’avoir jamais vu. Il connaît les sieurs Sijéas et Roux, mais il n’a jamais eu de relations avec eux. Il travaille chez son père de son métier de vannier et jamais il n’a couché hors de son domicile. Il affirme que le vendredi 4 juillet courant il ne s’est pas trouvé le soir au rendez-vous sur la place de l’Hôtel de ville, qu’il n’est pas allé à la chapelle des Dominicains, qu’il n’a jamais eu de relations avec les sieurs Sijéas, Roux et le Marseillais, et qu’il n’a pas pris part à aucun vol dans les bastidons.
Nous avons fait déposer à la maison d’arrêt de cette ville le sieur Staat Daniel, pour y être tenu à la disposition de Monsieur le Procureur de la République.
Fait à Aix, etc.

***

14 juillet 1873

L’an mil huit cent, etc.
Nous, Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
Procédant d’après les ordres de M. le Juge d’instruction d’Aix et sur les aveux de Sijéas qui nous a fait connaître que l’individu appelé le Marseillais fréquentait le restaurant tenu par le sieur Joly, rue de la Masse, ainsi que l’auberge tenue par la veuve Maganel, rue Grande Saint-Esprit, n°59, nous nous y sommes transporté, assisté de l’agent Courbon, et avons recueilli les renseignements suivants :
Chez le sieur Joly, l’individu désigné par Sijéas ne s’y est fait connaître que sous les noms d’Albert ou de Jean-Baptiste. Il y a vécu quelques fois et il s’y disait élève à la pharmacie de l’hospice d’Aix.
Chez la veuve Maganel, il y est entré le 5 juin et en est sorti deux ou trois jours après pour aller chez Joly. Il s’y est fait inscrire sous le nom de Poincaré Jean-Baptiste, âgé de 25 ans, né à Nancy (Meurthe-et-Moselle), commis, venant de Marseille et y demeurant.
Nous nous sommes ensuite transportés à l’hospice de cette ville où nous avons constaté sur les registres, qu’un nommé Poincaré Jean-Baptiste Alfred y était entré en qualité d’infirmier le 17 juin dernier et en était sorti le 30 du même mois. Pendant son séjour à l’hospice, il en sortait tous les jours à six heures et, quelques fois, il se faisait accompagner par un autre infirmier qu’il conduisait avec lui chez le restaurateur Joly ou dans une chambre louée par lui chez le sieur Othon, chapelier, rue Grande Saint-Esprit, n°27, qu’il visitait tous les soirs et où il recevait sa correspondance.
Nous étant rendu chez le dit Othon, la femme de ce dernier nous a conduit dans une chambre garnie au troisième étage qui était occupée depuis le 5 juin dernier par Poincaré et dans laquelle nous trouvons plusieurs vêtements noirs, un gilet pointillé sur fond marron, un portrait de femme et, parmi ses papiers, ses deux adresses à Marseille, rue Tivoli n° (2) et rue Thubanneau, n°26, et des adresses de bijoutiers et horlogers.
La femme Othon nous fait ensuite connaître que Poincaré est parti pour Marseille il y a huit ou dix jours, qu’elle a reçu de lui depuis son départ une lettre, que nous saisissons, l’invitant à lui expédier ses effets à la dernière adresse ci-dessus, ce qu’elle n’a pas fait puisque, il y a trois ou quatre jours, un individu se disant marchand de tableaux s’est présenté avec un billet écrit au crayon et a réclamé un vêtement gris, en drap, que je lui ai remis et qu’il a emporté à Marseille le même jour à Poincaré, qui l’en avait chargé. Cet individu, qui a laissé deux tableaux chez mon voisin Berthon, marchand fripier, m’a également dit qu’il reviendrait sous peu de jours avec son ami chercher le restant de ses effets.
Ces renseignements nous ayant été confirmés par le sieur Berthon, nous avons établi une surveillance et, aujourd’hui 14 juillet, à 11 heures du matin, cet individu qui nous a déclaré se nommer Ribeil Jean, âgé de 46 ans, marchand de tableaux à Marseille, rue Thubanneau, n°26, a été arrêté par l’agent Courbon, rue Grande Saint-Esprit, après s’être présenté préalablement chez le sieur Berthon, fripier, avec un individu dont le signalement correspond à celui de Poincaré.
Le sieur Ribeil reconnaît qu’il a servi d’intermédiaire à Poincaré, mais il affirme ne pas savoir ses nom et prénoms et n’être pas venu à Aix aujourd’hui avec lui.
Conduit par nous devant Monsieur le Procureur de la République qui l’a interrogé, le sieur Ribeil a été déposé à la maison d’arrêt par ordre de ce magistrat.
Fait à Aix, etc.


1. Lire sans doute Jarjayes.
2. Sic.

Laisser un commentaire