Tentative de meurtre contre Marie Silvestre (22 novembre 1802)

  • Sources : Archives municipales d’Aix-en-Provence, cote I1-1, fo. 3-5.

(22 novembre 1802)
Ce jourd’huy premier frimaire an onze de la république française
(1) nous comm[issaire]s de police instruits qu’un assassinat venoit d’être commis au milieu de la rue dite du petit Bethelem(2), nous nous sommes rendus sur le champ à trois heures de relevée(3) à l’endroit où le délit venoit d’être commis, ce qui nous a été indiqué par une trace considérable de sang empr[e]inte sur le pavé. N’ayant trouvé personne audit endroit, il nous a été dit que la femme assassinée nommée Marie Silvestre avoit été transportée dans la maison de son père entre onze heures et une heure et que son mary, auteur de l’assassinat, avoit été arrêté par des passants et conduit à l’hospice(4) attendu qu’après avoir frappé sa femme, il s’étoit frappé luy même de plusieurs coups du même instrument.
D’après les renseignements, nous nous sommes rendus de suite dans la maison dudit Silvestre où nous avons effectivement trouvé Marie Silvestre, épouse Aubry, étendue sur un lit, couverte de sang et percée de plusieurs coups d’estilet ou autre instrument pointu. Après avoir requis de C[itoy]en Arnaud, officier de santé, de constater dans un rapport l’état des blessures de cette c[itoy]enne, nous étant approché de son lit et, engagée de nous raconter l’événement dont elle venoit d’être la victime, cette femme ayant recueilli le peu de force qu’il luy restoit nous a déclaré qu’aujourd’huy premier frimaire, sur les trois heures de relevée environ, venant de savonner à la fontaine ditte de Notre-Dame(5) et se rendant avec sa corbeille dans la maison de son père où elle demeure depuis que son mary, par des traitements affreux, l’a obligée de se réfugier, et passant dans la rue du petit Bethelem, elle a été accostée par F[ranç]ois Aubry, son mary, qui, selon sa coutume, l’a abordée en la sottisant et, comme la déclarante redoublait de pas pour plutôt(6) quitter cette rue isolée, son dit mary, qui avoit [2 mots non lisibles], s’est précipité sur elle et, en la poussant rudement, l’a renversée par terre et percée de plusieurs coups.
Comme du sang de sa plaie ruisselet(7), son mary, sans doute la croyant morte, s’est donné plusieurs coups du même instrument dont il s’étoit servy pour la frapper; c’est [ce] qu’elle déclare avoir eu la présence d’esprit de voir, quoi que dans un état bien effrayé, nous déclarant que plusieurs personnes étant survenu ont saisy son mary, luy ont ôté l’instrument des mains et l’ont conduit à l’hôpital, que, quant à elle, elle s’est traînée jusque dans la rue du Bon Pasteur, c’est à dire environ cent pas de là et que, se trouvant mal, la c[itoy]enne Guiet[un mot non lisible], attendu que son mary, pendant tout le temps qu’il avoit [un mot non lisible] avec luy, n’a jamais cessé de la maltraiter quoique sa conduite fut irréprochable, que, ne pouvant plus tenir à sa conduite à son égard, elle avoit été obligée, après s’être réfugiée dans la maison de son père, de faire instruire une information en divorce, n’ayant que cette loi qui puisse mettre ses jours en sûreté.
Nous nous sommes de là portés à l’hospice civil où l’on nous avoit dit que le dit Aubry avoit été porté et, parvenus au lit où il avoit été placé, après avoir requis de c[itoy]en Arnaud, off. de santé, de constater dans un rapport l’état de quelques légères blessures dont nous l’avons trouvé frappé, nous luy avons demandé son nom, prénom et profession, lieu de naissance et domicile. Celuy-ci nous a déclaré s’appeler F[ranç]ois Aubry, tailleur originaire de Fougerel(8), département de la Haute-Saône, domicilié à Aix depuis quatorze ans et marié depuis environ cinq [ans] avec Marie Silvestre. A luy demandé s’il n’est pas vrai qu’aujourd’huy vers les trois heures de relevée, il se soit trouvé dans la rue du petit Bethelem, qu’il ayt rencontré sa femme et qu’après l’avoir insultée, il ay percé de plusieurs coups d’un instrument pointu et qu’il se soit ensuite percé luy même de plusieurs coups de cet instrument, celuy cy nous a répondu qu’il ne peut être l’auteur de ce délit puisque, à cette heure, il se trouvoit au cabaret de la nommée Pascalle
l’a accompagnée jusque dans la maison de son père, nous disant que le malheur qui venoit de luy arriver étoit toujours celuy qu’il avoit toujours (9) au faubourg (10) avouant que, se trouvant pris de vin, il ne se rappelle point à quelle heure il en est sorty, au surplus, depuis la demande de sa femme en divorce, il se sent la tête troublée, ne sçachant souvent ce qu’il fait. On luy présente l’instrument qu’on luy a arraché des mains après le délit. Il nous a déclaré que cet instrument avoit été dans sa maison, mais que sa femme l’avoit emprunté en se rendant chez son père.
Après avoir placé une sentinelle au pied du lit de F[ranç]ois Aubry et avoir pris dans sa poche un portefeuille drap contenant trente-neuf sols et demy monnaie de cuivre, une copie d’assignation en divorce de la part de Marie Silvestre, sa femme, une minute de réponse à cette assignation signée dudit Aubry, une clef qu’il nous a dit être celle de sa chambre et une autre petite clef et une paire de [un mot non lisible], nous nous sommes retirés et avons dressé le présent procès-verbal pour être par nous envoyé au magistrat de sûreté, auquel nous faisons parvenir non seulement tous les effets cy dessus détaillés, mais encore l’instrument pointu qui nous a été arraché des mains dudit Aubry et qu’un gendarme appelé Cazarau nous a remis dans la maison de Marie Silvestre, femme Aubry, où nous l’avons trouvé lors de notre audit, disant qu’un des témoins de l’événement appelé Gautier le luy avoit remis au moment qu’il avoit accouru à l’endroit même où il s’étoit passé et nous avons signé la ditte Marie Silvestre et F[ranç]ois Aubry déclarant ne le pouvoir, ainsi que les deux rapports de l’officier de santé.


(1) Soit le 22 novembre 1802.
(2) Le nom de cette rue n’est pas très clair. Je n’ai pas trouvé trace d’une rue Bethelem (ou peut-être Bethléhem). D’après le contexte, elle semble se situer dans le bourg Saint-Sauveur. Il pourrait s’agir de la rue des Nobles.
(3) Trois heures de l’après-midi (15 h).

(4) L’hôpital.
(5) Cette fontaine se trouve en haut de l’actuelle rue Jacques-de-la-Roque.

(6) Lire « plus tôt ».
(7) Ruisselait.

(8) Il s’agit de Fougerolles, département de la Haute-Saône (70), entre Luxeuil-les-Bains et Remiremont (Vosges).
(9) Lire « Pascal ». Les patronymes sont souvent accordés au féminin en Provence.
(10) Nom au donné à l’ancienne ville des Tours, quartier situé à l’ouest de l’actuel cours Sextius.

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