Dès la mi-juin 1848, les ouvriers de certaines professions, entre autres les tailleurs de pierre et les maçons, réclamaient de la préfecture que, conformément au décret de du gouvernement provisoire, la journée de travail fut réduite à dix heures et que le surplus, quand il leur était demandé, fût payé comme heure supplémentaire.
Ils se plaignaient de n’avoir pas reçu de réponse et d’être renvoyés d’un jour à l’autre sans obtenir de solution.
Dans la soirée du 21 juin, quelques bruits inquiétants avaient couru. Un certain nombre de gardes nationaux avaient été en conséquence mis de piquet. Mais la tranquillité publique n’ayant pas été troublée, on les avait congédiés en les invitant à revenir le jour suivant à 5 heures du matin.
L’escalade de la violence et la répression
Le 22 juin, vers les 9h30 du matin, un rassemblement d’environ deux mille ouvriers remonta la rue Saint-Ferréol pour se rendre à la préfecture.
À la hauteur de la rue Mazade, la force armée voulut barrer l’entrée de cette rue qui avait cependant été forcée par la tête du rassemblement.
On arrêta alors la foule et la troupe de ligne et la Garde nationale la refoula avec ménagement jusqu’à la rue Grignan.
Là se trouvaient deux charrettes dont on essaya de faire une espèce de barricade, et l’on s’empara sur ces charrettes de quelques barres de bois que l’on lança à tour de bras sur la ligne. Il y eut deux soldats blessés, l’un à la main, l’autre au visage. L’officier commandant le détachement ordonna alors une charge à la baïonnette. Elle suffit pour refouler l’émeute et la plupart des ouvriers se dispersèrent précipitamment.
Pendant ce temps, quelques délégués des ouvriers s’étaient rendus à la préfecture et en rapportèrent la promesse que le préfet maintenait son arrêté primitif, celui qui fixait la journée à dix heures et qu’il allait consulter le gouvernement sur cette dérogation à son décret.
Mais alors que les délégués demandaient à la foule de se disperser et de rentrer chez elle, certains hommes voulaient en découdre.
Le commissaire de police, arrivé sur les lieux, donna l’ordre d’agir. Quelques piquets de Garde nationale et de ligne suffirent pour mettre de nouveau en fuite les groupes qui stationnaient dans la rue Saint-Ferréol et près de la rue Grignan. Deux coups de fusil furent tirés de ce côté, mais à la rue de la Palud, l’affaire fut plus sérieuse.
Une décharge frappa un relieur nommé Gorjux qui, malgré les avertissements, avait persisté à s’avancer. Une balle l’atteignit à la cuisse et lui coupa un gros vaisseau. Il mourut deux heures après entre les bras du docteur Ducros qui venait de le panser et d’arrêter l’hémorragie.
Deux autres personnes furent blessées sur d’autres points.
L’extension de la révolte et la construction de barricades
Les fugitifs se répandirent alors dans les quartiers voisins, semant l’effroi et faisant fermer sur leur passage toutes les boutiques. Bientôt dans la ville entière, portes et magasins, tout fut fermé, une situation qui rappelait l’époque du choléra.
À 11 heures, une bande armée se précipita sur la place Saint-Louis, y brisa la devanture du café Puget et de là se jeta en pleine Canebière, y fit une décharge de plusieurs coups de fusil sur la ligne et la garde. Un coup atteignit un capitaine de la ligne et deux balles blessèrent le cheval du général Menard-Saint-Martin qui fut lui aussi blessé, quoique de plomb seulement.
À 3 heures de l’après-midi, des barricades furent construites dans des proportions menaçantes à l’entrée du faubourg Castellane et à la place aux Œufs. Plusieurs coups de fusil furent tirés des fenêtres de la place contre les gardes nationaux qui se plaignaient de n’avoir pas encore reçu de cartouches. Plus tôt dans la journée, une barricade avait été élevée à la rue Fongate et n’avait été enlevée que vers midi.
Les victimes de cette terrible journée
Au total, treize personnes perdirent la vie sur la place aux Œufs dont une femme originaire de Grasse, atteinte rue Pierre-qui-Rage, d’un coup de feu sur les toits où, selon certains, elle étendait du linge, selon d’autres, elle portait des vivres aux insurgés.
Parmi les douze autres morts, on comptait le capitaine Adolphe Devilliers, du 20e léger, tué au moment où il abordait la barricade. On dit que son meurtrier était un enfant de douze ans. La famille du malheureux officier le fit embaumer. On comptait aussi parmi les victimes un sergent-fourrier du 20e léger, trois gardes nationaux, dont l’un, nommé Laplace, était emballeur de profession. Ce jeune homme de 26 ans, s’écria en tombant, mortellement touché : « Ma mère ! » Et il expira.
Les sept autres morts appartenaient aux insurgés. Il ne nous a malheureusement pas été possible de reconstituer l’état civil de ces personnes.
Sur la place Castellane, trois morts furent à déplorer. Deux soldats du sixième de ligne furent tués par les feux des fenêtres, un insurgé frappé de cinq balles sur la toiture de la maison de l’octroi, et le domestique du docteur Dugas, atteint par une balle perdue à la fenêtre de l’écurie de son maître.
L’insurgé évoquait plus haut était généralement connu sous le sobriquet de sergent Mazagran. Il faisait feu du haut d’une lucarne des toits, quand une décharge générale le frappa de cinq balles et l’étendit raide mort.
Défectionnaire de la Garde nationale, cet homme s’offrit traitreusement la veille à servir de guide à ses camarades en leur recommandant de passer prudemment sous la maison de l’octroi. Or cette prétendue prudence avait pour but, assure-t-on, de placer les gardes nationaux sous le coup des pavés réunis sur le toit de cette maison. En le reconnaissant, un garde national que l’on suspectait d’appartenir aux montagnards, et qui n’avait obtenu qu’à grand-peine des cartouches, voulut se charger de châtier le traître. Il s’élança au feu avant son tour, et ne cessa de tirer que lorsqu’il vit tomber ce dangereux ennemi. On dit que pour lui donner un gage de la confiance qu’elle lui avait pleinement rendue, la compagnie avait voulu lui conférer le grade de sergent en remplacement du sien qui avait manqué à l’appel.
Barricade à la Grand-Rue
Les artilleurs de la Garde nationale et une centaine de soldats de la ligne s’avancèrent vers la barrière de la Grand-Rue, mais au moment où il parlementait avec ses défenseurs, 80 ou 100 coups de feu furent tirés sur eux. Ils furent assaillis en même temps par une grêle de pierres qui rejaillissait jusque bien avant dans la Grand-Rue. Avant même d’avoir pu armer leur fusil, les artilleurs et la ligne firent à leur feu à leur tour en reculant dans la direction du Grand-Puits.
La barricade de la grand-Rue fut enlevée à 3h30 de l’après-midi. Et la force armée balaya les autres barricades et poursuivit les révoltés dans les maisons. Il y eut là encore du sang versé. Un spectacle terrible fut donné à l’attaque d’une maison située près de la rue Vieille-Monnaie. Un officier de la Garde nationale parut sur le toit, poursuivant plusieurs ouvriers armés qui étaient ajustés en même temps par les gardes nationaux restés sur la place. Plusieurs coups de fusil furent tirés au risque de blesser l’officier, mais ce furent les insurgés seuls qui en furent atteints. On en saisit un grand nombre de 60 à 80, disait-on. Quelques-uns furent pris dans un puits, plongés dans l’eau jusqu’au cou.
- Sources : La Gazette du Midi, 23 juin 1848, p. 1 ; ibid., 24 juin 1848, p. 1 ; ibid., 25 juin 1848, p.1.