I. La ville comtale d’Aix-en-Provence

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L’Hôtel de Ville d’Aix fut construit de 1656 à 1668 sur les ruines d’un édifice municipal antérieur qui ne se remit jamais vraiment de son incendie par les troupes de Charles Quint en 1536 malgré sa restauration. Jusqu’en 1741, la façade principale du bâtiment donnait sur la rue Droite. Le bloc de maisons fut abattu et l’actuelle place de l’Hôtel de Ville vit le jour.

La place de l’Hôtel de Ville. © Jean Marie Desbois, 2003

La place de l’Hôtel de Ville.
© Jean Marie Desbois, 2003

En 1756-1757, l’architecte Brun fut chargé d’y ériger la fontaine qui y demeure. La colonne de granit qui la surplombe provient de l’hôpital Saint-Jacques où elle fut trouvée en 1626 à l’emplacement de l’actuel parking Pasteur. C’est le chapitre de Saint-Sauveur qui en fit don à la municipalité. On dit qu’une deuxième colonne, trouvée au même endroit, orne aujourd’hui la rue Bonaparte à Marseille grâce au préfet Delacroix, connu pour le mépris qu’il portait à Aix qu’il appelait un « village orgueilleux ».
Quatre inscriptions ornent les côtés de la fontaine, réaménagées au fil des ans et des régimes politiques.
En passant la halle aux grains, on aboutit à la place Richelme. Cette place a été établie vers 1360 lorsque le bourg Saint-Sauveur et la ville comtale furent réunis. A Averse, la reine Jeanne de Naples en confirma l’établissement en septembre 1365.
L’histoire de cette place, dont le nom était alors Place aux Herbes, est liée à la peste qui dévasta Aix en 1390, 1416. 1451 et 1466. Pour en finir avec le fléau, le roi René demanda au pape Paul II de l’aide. Celui-ci lui envoya en 1470 les reliques de saint André et de saint Sébastien. La chapelle Saint-Sébastien fut bâtie sur la Place aux Herbes où elle demeura jusqu’en 1618.
Le sol de cette place était très inégal, ce qui amena certains historiens à croire que sous la terre se trouvait une fontaine d’époque romaine. Des recherches menées vers 1838 ne donnèrent rien et le sol fut aplani.

La place Richelme et son marché. © Jean Marie Desbois, 2003

La place Richelme et son marché.
© Jean Marie Desbois, 2003

Cette place a de tout temps été la place du marché à Aix. Des ordonnances de 1452 rapportent que l’on y vendait du poisson en abondance: thons, soles, dorades et autres rougets. Au XIXe siècle, elle était entourée de bancs de pierre sur lesquels les maraîchers étalaient leurs légumes. Un de ces bancs portait le nom de « banc du Roi ». L’historien Bouyala-d’Arnaud en donne la raison: « On raconte que les princes de la deuxième maison d’Anjou (à laquelle appartenait le roi René), ayant perdu leur royaume de Naples, n’étaient pas riches et faisaient vendre, comme de simples maraîchers, les légumes provenant de leur jardin et qu’ils ne consommaient pas à leur table ».
La place Richelme n’avait originellement pas la taille qu’elle a aujourd’hui. Jusqu’en 1717, la rue des Corroyeurs (rue de la Correjarié) la traversait au sud et débutait à l’embouchure de la rue des Marseillais. Elle fut abattue pour dégager l’espace face à la Halle aux Grains (bâtiment des greniers publics) qui coupe la place au nord.
A l’est, une autre rue coupa l’espace. La rue Donalari fut abattue à son tour pour dégager la place. L’origine du nom de cette rue prête à conjectures. Bouyala-d’Arnaud évoque le nom d’un gentilhomme espagnol, don Alari. Roux-Alphéran, lui, ne croit pas à cette hypothèse.
D’autres rues méritent d’être mieux connues.
La rue Vauvenargues est lié au village du même nom, situé à l’est d’Aix, par Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, né au 26 de cette rue, le 6 août 1715. Connu comme moraliste, il est l’auteur des célèbres  » Réflexions et maximes « . Lieutenant au régiment du roi de 1735 à 1740, lieutenant au régiment du roi, de 1745 à sa mort, il s’éteint à Paris le 28 mai 1747. Il souffrait d’une santé fragile ; lors de la campagne de Bohême (1742), il eut les jambes gelées et dut abandonner sa carrière militaire. Il vécut à Paris dans la misère et la méditation, loin de la Provence qu’il n’aimait pas.
Son père, Joseph de Clapiers, fut seigneur de Vauvenargues et consul d’Aix à l’époque de la Grande Peste de 1720. C’est pour les services qu’il rendit lors de l’épidémie que le roi érigea ses terres en marquisat. La famille de Clapiers descend de Nicolas de Clapiers, originaire de Hyères (Var), seigneur de Pierrefeu. C’est ce dernier qui acquit la maison au n°26 de la rue de Vauvenargues.

Tableau de François-Marius Granet, peint à l’initiative d’Antoine Aude en 1844, représentant une crèche aixoise au Petit Malvallat. Mme Granet est à genoux au centre, portant une pomme à sa bouche. DR.

Tableau de François-Marius Granet, peint à l’initiative d’Antoine Aude en 1844, représentant une crèche aixoise au Petit Malvallat. Mme Granet est à genoux au centre, portant une pomme à sa bouche. DR.

La rue Maréchal-Foch portait jusqu’au XVIIIe siècle le nom de rue Droite. Au temps de Roux-Alphéran, elle était dénommée rue des Orfèvres. Au n°7, on remarque une magnifique demeure ayant appartenu au début du XVIe siècle à Jacques de la Roque, fondateur de l’hôpital Saint-Jacques, sur les fondations duquel se trouve aujourd’hui le centre hospitalier d’Aix-en-Provence. Souvent victime des épidémies, la ville a rapidement vu en Jacques de la Roque un bienfaiteur qu’il fallait respecter.
La rue de l’Official reçut en 1870 le nom d’un maire d’Aix, Antoine Aude (maire du 8 août 1835 au 10 mars 1848) et est aujourd’hui connu sous le nom de rue Aude. Antoine Aude fut le créateur des premières crèches aixoises, en collaboration avec son ami, le peintre François-Marius Granet (1775-1849). Le nom de rue de l’Official vient de Victor Peyroneti, vicaire général, vice-chancelier de l’université d’Aix et official métropolitain du diocèse sous Henri II (1550), qui y fit bâtir une maison que l’on voit aujourd’hui au n°13 (et connue sous le nom d’hôtel Peyroneti). Quelques noms célèbres y virent le jour :

  • Sextius Alexandre François comte de Miollis, lieutenant-général, grand-officier de la Légion D’honneur, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, commandeur de l’ordre de la Couronne de fer, y naquit le 18 septembre 1759. Il décéda au château de la Sextia, près de Puyricard, le 18 juin 1828.
  • Le frère de ce dernier, Mgr Miollis, né en 1753. Evêque de Digne, il inspira à Victor Hugo, dans Les Misérables, le personnage de Mgr Myriel [1].

L’historien André Bouyala d’Arnaud signale que c’est aussi dans cette maison que fut créée après 1830 la société La Cougourde (« courge » en provençal), « parce qu’une courge (…) avait été trouvée dans l’appartement où la société s’installait. »
À l’angle de la rue Aude et de la rue Bédarride se trouvait jusqu’au milieu du XVIIe siècle le premier Hôtel de Ville d’Aix. Cette rue portait jusqu’à la Révolution le nom de rue Notre-Dame de Beauvezet ou rue Beauvezet, en raison d’une chapelle, dédiée à la Vierge, qui y fut bâtie en 1231 par un nommé Bérard [2]. Aujourd’hui en plein dédale de rues, le bâtiment offrait autrefois une vue que l’historien Roux-Alphéran qualifie de « délicieuse , au midi comme au couchant de la ville », ce qui lui valut ce nom de Beauvezet . Cette chapelle fut occupée par les religieux Picpus de 1666 à 1787, puis détruite sous la Révolution. Ce même historien signale une plaque de marbre qui se trouvait dans le vestibule de la maison érigée, à la place de cette chapelle, en 1787 par M. Leydet père, indiquant « V. P. 1556 Men. Martii F. » cette plaque provenait, d’après Roux-Alphéran, de la chapelle. Nous sommes plutôt d’avis d’en donner la paternité à Victor Peyroneti (V.P.), la date correspondant (voir ci-dessus). En 1848, cette plaque existait toujours, quoique rongée par le temps. A notre connaissance, elle n’existe plus aujourd’hui.
Une chapelle attire l’attention dans cette rue, sur la droite, lorsqu’on la descend. Il s’agit de la chapelle de la maison hospitalière de la Pureté, où furent logées les filles de l’Enfance, à partir du 12 janvier 1674.
Du haut de la rue Bédarride, démarre une rue aujourd’hui fermée dénommée la rue de l’Annonerie, aussi nommée rue de l’Annonerie-Vieille. On la trouve parfois sous le nom de rue Marante, du nom d’une famille qui y vivait. En 1634, on l’appelait la traverse de Garron, du nom d’une autre famille l’habitant. Dans la maison qui fait l’angle avec la rue Bédarride, dans la nuit du 10 au 11 décembre 1748, un événement tragique s’y déroula. Si vous venez à passer dans cette rue, pensez aussi au paysan Franc qui y vivait vers 1710 et qui se rendit célèbre pour ses bons mots. Voyant renouveler la plantation de l’actuel cours Gambetta, dont le terrain était maigre et où les arbres croissaient difficilement, il s’adressa à un des consuls qui se trouvait là pour surveiller les travaux et lui dit: « Que ne faites-vous planter ici des procureurs! Vous seriez plus assuré qu’ils prendraient; ils prennent partout. » Passant une autre fois devant le clocher de Saint-Sauveur, tandis que des chanoines et des bénéficiers se promenaient sur la place devant l’église, il s’écria : « Oh ! le beau chêne qui avec ses glands nourrit tant de porcs ! » Ce dont les promeneurs ne firent que rire, loin de s’en offenser, car maître Franc avait acquis la permission de tout dire. L’histoire d’Aix, c’est aussi ces petites histoires de petites gens.
Nous voici maintenant place Ramus. Juste un mot sur cette place de restaurant qui doit son nom à Joseph Marius Ramus, né à Aix en 1805, décédé à Nogent-sur-Seine en 1888. Sculpteur, il est l’auteur de la statue d’Anne d’Autriche, qui orne le jardin du Luxembourg, à Paris. Cette place était autrefois la place Saint-Antoine du nom de l’hôpital, également dénommé maison de l’Aumône (Domus Eleemosynae), qui y fut fondé au XII
e siècle pour les mendiants invalides. C’est peut-être dans un des salles de ce bâtiment que fut signée en 1357 la réunion du Bourg Saint-Sauveur et de la Ville Comtale.

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1. Cf. Biré (Edmond),  » Mgr de Miollis et Les Misérables  » in L’Univers, du 10 avril 1894. Repris dans  » Histoire et littérature « , Lyon, 1895.
2. On trouve les noms Bellovisu et Belvezer pour la nommer.