La nuit du 11 juin 1909 à Lambesc

Racontée par Raymond Dauphin, témoin oculaire
« VENDREDI 11 juin 1909…
Cette date fatale restera à jamais gravée dans ma mémoire ; son seul souvenir fera toujours revivre en moi les heures atroces que nous avons passées et le spectacle navrant d’une population désolée.
Une vieille habitude veut que je me trouve chaque soir après le souper au café Nicolas, située sur la Grand-Rue ; je passe là quelques heures agréables en compagnie de bons amis.

La ferme de Croigne dans laquelle  les quatre enfants Philip ont trouvé la mort.  Cliché Ruat. DR.
La ferme de Croigne dans laquelle
les quatre enfants Philip ont trouvé la mort.
Cliché Ruat. DR.

Le 11 juin au soir, je me trouvais donc dans cet établissement, causant avec mes amis, loin de me douter qu’une terrible catastrophe nous guettait. Tout d’un coup, à 9 heures 19 très exactement, nous entendons une formidable détonation, nous nous sentons progressivement secoués, on eut dit qu’on pressait fortement sur nos épaules pour nous affaisser. Après ce mouvement de verticalité, un mouvement beaucoup plus fort de latéralité suivit ; les chaises, tables, verres, carafes sont renversées, une cloison dégringola dans le café et la lumière s’éteignit. Une vive panique s’empare de nous tous, nous nous élançons vers la porte, nous nous bousculons, nous marchons sur des personnes qui, s’étant heurtées à des chaises, étaient tombées, et nous arrivons enfin sur la terrasse du café. Là, un spectacle bien plus navrant nous attendait.
Toute une population surprise par le tremblement de terre que nous venions de subir, courait affolée dans les rues ; ici, c’est une femme serrant dans ses bras son enfant nu et appelant à grands cris son mari ; là, c’est un homme, Louis Isnard, demandant du secours pour retirer son père, sa mère, son frère et ses deux sœurs qui sont sous les décombres dans le quartier du Castellas ; successivement, on vit Maurin, Pougaud, Matheron, Chauvet, Philip, etc., venir demander des secours pour retirer des décombres les cadavres de leurs femmes et de leurs enfants.
C’est alors que, après avoir pensé à soi-même, on dut prendre courage et aller sortir des décombres meurtriers les malheureuses victimes. De nombreux habitants se dévouèrent à cette tâche ; nous citerons au hasard Émile Giraud, Albert Allemand, Fernand Giraud, Louis Imbert, etc., qui, sans relâche, travaillèrent toute la nuit à dégager les morts.
Pendant ce temps-là, la population évacuait Lambesc et se retirait tristement sur le plateau de Berthoire.

Restes d’un foyer de Lambesc. Cliché Boissonnas-Détaille. DR.
Restes d’un foyer de Lambesc.
Cliché Boissonnas-Détaille. DR.

Hommes, femmes, enfants, vieillards, infirmes, quittaient leur demeure, craignant qu’une nouvelle secousse ne vint augmenter le nombre des victimes. La température ayant sensiblement baissé, de grands feux s’allumèrent et les flammes qui s’en dégageaient éclairaient des visages empreints de tristesse et de désespoir. Ah ! la terrible nuit ! les six heures qu’elle dura nous sembèrent des siècles ; nous craignions l’obscurité et il nous semblait que, le jour arrivant, un gai soleil et un temps chasseraient de notre esprit le cauchemar qui le hantait. Hélas, il n’en fut rien ! le lendemain, à l’aube, un nouveau spectacle navrant s’offrit à nos yeux, notre pauvre Lambesc nous apparut en ruines ; en rentrant dans nos maisons, nous nous heurtâmes à des tas de plâtras, à des meubles renversés, à des objets que la terrible secousse avait réduits en miettes. Notre pauvre clocher nous apparut fortement ébranlé, notre église toute lézardée, les rues étaient encombrées de matériaux provenant de la chute des murs ; à l’usine Barbier, où je me rendis, une cheminée en maçonnerie de 25 mètres s’était abattue sur le laboratoire qu’elle avait saccagé. Dans le quartier du Castellas, aucune maison n’avait échappé à la terrible catastrophe ; c’était navrant et je renonce à décrire la douleur que provoqua en moi ce terrible spectacle.
À 6 heures du matin, je me trouvais sur la place Lazare-Carnot ; un camion descendait au pas sur la Grand-Rue ; un linceul blancrecouvrait les corps des quatre enfants Philip que les décombres avaient engloutis à la ferme de Croigne ; derrière, venait une voiture sur laquelle un homme et une femme sanglotaient ; c’étaient les maheureux parents qui accompagnaient les corps de leurs chérubins qu’on allait déposer à l’hospice, près de leurs frères d’infortune. Le passage de ce camion de la mort, de cette voiture de douleur, nous étreignit et, silencieux, en pleurant, nous nous découvrîmes.
Telles sont mes impressions sur la terrible catastrophe du 11 juin 1909 ; elles ne donneront au lecteur qu’une vague idée du désastre ; car il n’est pas possible de décrire exactement les heures d’angoisse et les tristes conséquences que provoqua ce tremblement de terre. »

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