Une jeune fille de 15 à 16 ans, demeurant rue Sainte-Barbe, à Marseille (Bouches-du-Rhône), était partie, le 13 janvier 1848, vers 18 heures, porter le souper à son père qui était contremaître à la raffinerie de sucre de M. Massot. Comme l’homme passait la soirée sur son lieu de travail, cette gentille fille sortit donc dans la rue et partit en direction de la fabrique, enveloppée de son mantelet.
En quelques minutes, elle atteignait l’endroit, donnait le repas à son père, recevait de sa part un baiser et repartait chez elle, hâtant le pas car la nuit était déjà tombée et qu’il faisait froid sur Marseille.
Mais alors qu’elle passait dans la rue, un employé de l’octroi l’aperçut et courut vers elle, la saisit brutalement et la traîna sur le sol sur une distance de cinq à six pas.
Saisie d’épouvante, la pauvre fille s’évanouit sous l’effet de l’émotion, laissant tomber son cabas où plusieurs assiettes se brisèrent.
Heureusement, des passants se portèrent à son secours et saisirent l’agresseur au collet puis le conduisirent près de là, dans un débit de boissons où l’on transporta également la jeune fille.
Des agents de police furent appelés et dressèrent un procès-verbal à l’homme. On fit aussi venir un médecin qui constata que l’état de la fille était grave et qui jugea qu’il fallait lui faire une saignée, qui fut faite sur-le-champ.
Bien entendu, l’employé de l’octroi, que l’on appelait un ambulant, se défendit en arguant qu’il avait fait son métier, en arrêtant cette jeune fille qu’il suspectait de contrebande. Il faut dire que la rue par où elle passait était bien dans son secteur de compétence mais la loi était formelle : les ambulants ne pouvaient agir que sur des indices manifeste de contrebande, par exemple s’ils étaient amenés à voir des hommes portant des barils de vin. Et même s’ils pouvaient agir en pareil cas, toute voie de fait était rigoureusement prohibée, hormis bien entendu en cas de légitime défense. Autant dire que ce n’était pas le cas ici.
Rapidement, on se rendit compte toutefois que l’homme était pris d’alcool au moment des faits. Cela évidemment aggravait son cas, tant au niveau de la justice qui serait nécessairement sévère avec lui, mais aussi à celui de ses supérieurs, la loi indiquant qu’un agent de l’autorité devenait punissable quand il se mettait dans un état qui le rendait incapable de remplir ses devoirs.
Quant à la jeune fille, elle se remit peu à peu de ses émotions dans les jours suivants. Le lendemain de l’agression, on lui fit une nouvelle saignée et on la trouva de nouveau sur pied.
- Source : La Gazette du Midi, 15 janvier 1848, p. 2.