Le crime de Six-Fours (Six-Fours-les-Plages, 21 octobre 1846)

En 1846, l’opinion publique se préoccupait au plus haut point de l’affaire du nommé Lucien Guiol, 39 ans, condamné déjà à la peine de mort par arrêt de la cour d’assises du Var, à la date du 20 novembre 1847, et qui avait été cassé par la Cour de cassation. Aussi, même avant l’ouverture des portes pour le procès d’appel, le 28 février 1848, les abords du palais furent envahis par une foule nombreuse. Dans l’enceinte réservée, toutes les places étaient occupées, et on remarquait parmi les personnes qui s’y trouvaient plusieurs avocats en robes et quelques dames.
Lucien Guiol, 39 ans, avait été, pendant huit années, ouvrier de l’arsenal de Toulon. Il en sortit en 1836, et resta ensuite sans moyens connus d’existence. Aux débats, il prétendit qu’il jouait aux boules et gagnait souvent, et qu’il possédait d’ailleurs quelques petites économies. Pressé de questions, il dit aussi qu’il avait fait quelques opérations comme agent de remplacement.
Le 21 octobre 1846, trois personnes de la famille Cornille qui habitaient une campagne de Six-Fours (Var) y furent trouvées assassinées : Jean-Baptiste Cornille, un cloutier de 56 ans, né à Six-Fours, sa mère Gabrielle Richelme, 96 ans, née à Beauvezer (Basses-Alpes) et sa femme Marie-Théotiste Vial, 57 ans, née à Évenos (Var).
Cette scène de carnage fut suivie de vol et d’incendie.

Les premières arrestations et les indices

Quelques jours après, on arrêtait les nommés Ferrandin et Bonifay, ouvriers qui travaillaient à creuser des puits, et qui avaient été vus le jour du triple crime dans le voisinage de la campagne. Bonifay fut condamné à mort, mais n’était pas encore exécuté en février 1848. Ferrandin, lui, s’était évadé de prison et la police était à ses trousses. L’agent Honnorat était d’ailleurs sur le point de l’attraper quand celui-ci fit feu sur son poursuivant. Atteint presque aussitôt lui-même de plombs à la figure, il tomba à terre et dès lors on put le saisir.
Un brigadier de police de Toulon entendit les révélations de Ferrandin qui avoua avoir pour complices Bonnifay, Guiol, Bœuf, Achard et Fouques. « C’était Guiol, Achard et Fouques qui nous ont tout fait faire », disait-il.
— Qui a tué les époux Cornille ? lui demanda le témoin.
— C’est Guiol, lui répondit-il, avec mon fusil. »
L’huissier Terrin et le portefaix Baudis avaient entendu la même révélation et vinrent en attester aux assises.

Les aveux de Bonifay

Le condamné à mort Bonnifay, un des complices désignés par Ferrandin, fut amené devant la cour escorté de trois gendarmes, pour y être entendu à titre de simple témoin. Le président Euzières, au milieu du profond silence de l’auditoire, adjura cet homme de dire toute la vérité.
Bonifay demanda à s’exprimer en provençal, faveur qui lui fut accordée. Il dit que le 20 au soir, il convint avec Guiol, Ferrandin et Bœuf d’aller voler l’argent que pouvait posséder le vieux Cornille à sa maison de campagne, située au quartier de Six-Fours. Le témoin indiqua la marche qu’ils suivirent pour arriver et parvenir dans le domicile des victimes. Il avoua que ce fut lui qui appela Cornille. La porte ouverte, Cornille leur offrit du vin.
Et pendant qu’ils causaient, Guiol prit le fusil de Ferrandin et lui demanda combien il lui avait coûté, et au même instant il mit le canon sur la poitrine de Cornille et le tua à bout portant.

Les accusations réciproques

Ensuite il s’élança avec Ferrandin vers le premier étage et y assassina l’épouse de Cornille et sa mère. Bonnifay ajouta que c’était lui qui s’était emparé de l’argent.
Interpellé par M. le président, Bonifay dit que Guiol avait eu sa part du crochet le jeudi et que Corneille n’avait pas bu avec eux le soir.
Guiol, interrogé sur la déposition du témoin, affirma que celle-ci était fausse et adjura Bonifay de dire toute la vérité.
Celui-ci le regarda fixement en lui disant qu’il était bien coupable, puisqu’il avait tué le mari et la femme, et que c’était lui qui l’avait perdu.

Les autres témoignages

Guiol se renferma alors dans la négation la plus absolue et dit que sa conscience ne lui reprochait rien.
Le président interrogea encore Bonifay pour savoir si Guiol était bien dans la maison Cornille le soir où l’assassinat avait été commis.
Bonifay persista dans sa déclaration et répéta que Guiol était bien coupable et que c’était lui qui avait été le chef de l’action criminelle.
Cette déposition fut écoutée avec le plus vif intérêt et la confrontation de Guiol et de Bonifay produisit l’effet le plus émouvant et le plus dramatique.
À l’audience suivante, le 24 février, le président fit de nouveau appeler Bonifay. Ce témoin vint renouveler, avec les détails les plus complets, sa déposition de la veille.
Interrogé s’il n’avait pas commis divers vols dans le territoire de Toulon, le témoin avoua en avoir commis quelques-uns et en nia d’autres. Il avoua avoir commis un assassinat dans la nuit du 12 au 13 août 1846, sur la personne d’un compagnon, de concert avec Ferrandin. Il attesta que Guiol n’était pas avec eux lors de ce crime.
Le président ordonna ensuite à Guiol de descendre dans l’enceinte à côté de Bonifay. L’accusé vint se placer à côté du condamné. Guiol renouvela ses dénégations, mais celles-ci étaient moins vives et emportées que devant la cour d’assises du Var. Bonifay affirma toujours avec force que Guiol avait recherché à atténuer tous ses méfaits et termina en lui disant qu’il était le plus coquin de tous.
Le commissaire de police d’Ollioules, M. Fabre, dixième témoin, parla ensuite de la conduite de Guiol qui, d’après lui, ne vivait jamais que dans les maisons de jeux, les lupanars et n’avait aucune autre occupation. Il affirma que, de 1841 jusqu’en 1846, d’après les renseignements qu’il avait pris, Guiol n’a pas dû gagner plus de 25 à 30 francs.
Sur ce sujet, le président interrogea Guiol concernant les effets trouvés chez lui et sur ses moyens d’existence.
L’accusé chercha à en expliquer la provenance. Le témoin entendit aussi les révélations de Ferrandin et il donna à la cour les mêmes détails que l’on avait entendus des précédents témoins. Divers autres témoins établissaient, malgré les dénégations de l’accusé, la réalité de ses rapports avec Ferrandin et Bonifay. La veuve de l’agent de police Honnorat déposa que son mari se servait quelquefois de cet homme pour avoir des renseignements de police. La veille de la mort d’Honnorat, il vint spontanément chez elle et lui dit : « On pourrait bien avancer cependant que j’étais avec Ferrandin et Bonifay », et le témoin répondit : « Ne craignez rien si vous pouvez dire où vous avez passé votre temps pendant la soirée du crime. » Alors, Guiol ne répondit rien et baissa la tête.

La condamnation

Les paroles du témoin furent souvent interrompues par ses sanglots. Sa déposition produisit une impression douloureuse sur tous ceux qui assistaient à ces longs débats.
La veuve dit en outre que le jour où son mari avait été tué, Guiol était venu chez elle et l’avait embrassée. À ce moment, le témoin s’anima et, les yeux remplis de larmes, indiqua Guiol et dit : « Moi, j’ai reçu un baiser de cet homme-là ! Que je suis malheureuse de me trouver en face des assassins de mon pauvre mari. »
Le vingt-et-unième témoin, Esclangon, sergent de ville à Toulon, avait Guiol chez la veuve Honnorat et avait entendu la conversation qu’ils avaient eu ensemble au sujet de l’arrestation de Ferrandin. Il est allé ensuite annoncer à la veuve la mort de son mari. Pendant ce temps, Guiol était là et c’est alors que, une femme arrivant et annonçant les révélations de Ferrandin, Guiol se leva précipitamment et s’enfuit.
À l’audience suivante, on entendit le réquisitoire de M. Daruis et la défense présentée par Maître Pascal Roux, nommé d’office.
Guiol fut condamné à mort. Il écouta la sentence avec impassibilité.
  • Sources : La Gazette du Midi, 29 février 1848, p. 3.

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