Les voleurs du Pont-du-Coq (Aix-en-Provence, 25 octobre 1873)

L’an mil huit cent, etc.,
Par devant Nous, Hivert Pierre-Antoine, commissaire de police de la ville d’Aix,
S’est présenté le sieur Clerici Jean-Baptiste, dit Raphaël, âgé de dix-neuf ans, ouvrier maçon à Gardanne chez M. Coste, entrepreneur de travaux publics, domicilié chez son père rue des Épinaux, n°6, à Aix, lequel nous a fait la déclaration suivante :
« Je suis parti hier soir à cinq heures et demie environ de Gardanne pour revenir à Aix, porteur de mon carnier*, ayant seulement en ma possession 1,20 F dans la poche de mon gilet, mon patron ne m’ayant pas payé ma semaine. Je tenais à la main droite un bâton assez fort pour me défendre en cas de besoin, attendu que j’avais une vague appréhension que la route n’était pas très sûre.
« Pour éviter le passage des Grottes sur la route, j’ai pris un sentier à travers la colline et je suis venu tomber sur la route au Pont-du-Coq, à environ cinq cents mètres du Pont-de-l’Arc** où j’arrivais à sept heures moins dix minutes.
« Comme je sautai sur la route, je me suis senti saisi par le poignet gauche, ma main droite retenant mon carnier, par un individu tenant à la main un grand couteau ouvert d’environ quarante centimètres de longueur. Au même instant, un autre individu, tenant aussi à la main un couteau semblable au premier m’a empoigné par le cou. Ils me tenaient en respect, les deux lames des couteaux à deux travers de doigt de ma poitrine.
« L’un était très grand et l’autre de taille moyenne. Le premier me tenait par le poignet et l’autre par le cou. Le petit a pris la parole et m’a dit : « Il nous faut ton argent ou ta peau. »
« Saisi par la frayeur, je n’ai pu que répondre : « D’argent, je n’en ai pas, je n’ai pas touché ma paye, je n’ai que quelques sous sur moi. Je vais vous les donner. »
« Le même a répondu sans autre explication : « Nous allons vous les prendre. »
« Puis il a remis son couteau à son complice en lui disant en piémontais : « Voila le couteau ! »
« Il m’a fouillé très minutieusement et m’a pris les vingt-quatre sous que j’avais sur moi. Ils m’ont alors lâché tous les deux. Le grand m’a enlevé mon bâton et le petit m’a dit : « Marche, Raphaël, tu n’as pas besoin de bâton. Ne dis rien sans quoi lundi à ton retour tu auras de mes nouvelles. »
« Je suis ensuite rentré chez nous fortement impressionné et indisposé, sans avoir fait d’autre rencontre.
« Je ne connais pas ces individus et cependant ils me connaissent eux-mêmes puisqu’ils m’ont appelé par mon nom et qu’ils connaissent mes habitudes pour aller et revenir de mon travail.
« Le grand était coiffé d’un chapeau noir en feutre mou, les ailes fortement retroussées, vêtu d’une veste courte. Il ne portait que les moustaches. Le petit était coiffé d’un chapeau de paille avec les ailes renversées et serré autour de la tête par un mouchoir en couleur, vêtu d’une veste claire d’une longueur moyenne. Il portait toute la barbe longue et noire. Je reconnaîtrais sûrement ce dernier.
« D’après le signalement qui m’a été donné par mon père de deux mendiants qu’il a vus ce matin à Aix sur la place de la mairie vers onze heures, je crois que ce sont mes deux agresseurs. »

De tout quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal que nous adressons à Monsieur le Procureur de la République.

Fait à Aix, etc.

NOTES

  1. Forme provençale francisée de la carnassière, petit sac contenant le gibier.
  2. Clerici a traversé la colline du Montaiguet qui est la voie la plus courte à vol d’oiseau entre Gardanne et Aix. Le Pont-du-Coq existe toujours.