Après un violent épisode de peste qui avait réduit la population de Marseille à 3 000 âmes et alors que les Provençaux souffraient des Guerre de religion, chaque province avait ses ligueurs et le chef de ceux-ci, en Provence, se nommait Hubert de Vins, depuis la mort de son oncle, le comte de Carcès.
Le seigneur de Vins était un homme courageux, actif, entreprenant et plus dévoré d’ambition que passionné par la gloire. Vaillant soldat, bon capitaine, sage pour le conseil, sa promptitude pour l’exécution lui fit donner le surnom de « matinier ».
Pour en savoir plus sur la mort de M. de Vins, lisez l’aricle : La mort de Monsieur de Vins devant Grasse (Aix-en-Provence, 20 novembre 1589).
Il ne tarda pas à se rendre redoutable. Les seigneurs de Saint-André, de Meyrargues, de Rousset, de Créoulx, de Mons et de Salernes vinrent se ranger sous ses enseignes.
Les villages de Puimoisson et de Saint-Paul[-lès-Durance] furent ses premières conquêtes. Pertuis lui résista, mais Ansouis, La Tour-d’Aigues, la Motte[-d’Aigues] et quelques autres places se rendirent.
Il poussa en même temps jusqu’à Marseille où il comptait de chauds partisans parmi lesquels se trouvait le second consul, Louis de la Motte, surnommé Dariez, qui, en l’absence du premier consul Antoine d’Arène, avait la principale autorité sur la ville.
Dariez avait une taille avantageuse, un beau visage, de l’éloquence et beaucoup de grâce.
Nature emportée, catholique ardent, il vouait une haine mortelle aux Huguenots.
Entouré de quelques hommes dévoués à sa cause, parmi lesquels se trouvaient Joseph Lauze et Claude Boniface, il asservit le corps municipal à ses volontés despotiques. Dalvis, viguier, Roque, troisième consul, et Martinenqui, assesseur, n’eurent plus qu’un titre sans pouvoir.
Ses rigueurs contre les calvinistes furent alors excessives. Il ordonna aux habitants, sous peine de mort, de porter sur leurs chapeaux une croix blanche, signe distinctif de la ligue.
Son ambition n’allait pas moins jusqu’à lui faire envisager de remettre Marseille aux ligueurs et de s’en déclarer le chef.
Son ambition n’allait pas moins jusqu’à lui faire envisager de remettre Marseille aux ligueurs et de s’en déclarer le chef.
C’est pour cette raison qu’il s’était allié à M. de Vins et avait attiré dans la rade de Marseille des galères de Toscane pour protéger la ville.
Mais le vent tourna pour lui.
Une conspiration se forma contre lui à la tête de laquelle se mit un noble Marseillais, du nom de François Bouquier, qui entreprit de délivrer la ville de son nouveau tyran.
Encouragé par Henri, duc d’Angoulême (Illustration du haut d’après un portrait d’époque), grand prieur de France, qui soutenait à Aix la cause royale, il réunit un grand nombre de citoyens sur la place Neuve (ancienne place Victor-Gélu, en bordure du Vieux-Port) et les excita à la vengeance. La plupart d’entre eux prirent les armes et jurèrent de ne les quitter qu’après la mort de Dariez.
Le consul fut bientôt informé de ce complot contre lui. Il essaya alors de rallier ses partisans mais ceux-ci ne tardèrent pas à l’abandonner.
Il fut arrêté au moment où il était sur le point de monter sur une galère pour quitter la ville.
On le conduisit avec le capitaine Boniface, complice et principal instrument de ses violences, à l’Hôtel de Ville, où s’était assemblée une foule de Marseillais.
Le grand sénéchal de Provence, Gaspard de Pontevès, ouvrit une enquête contre eux. À dire vrai, l’issue du procès ne laissait guère de doute. Les deux coupables furent condamnés à être pendus.
L’arrêt fut exécuté le 13 avril 1585, à minuit, en présence du grand prieur, qui était à une fenêtre voisine.
Boniface, selon les témoins oculaires, se comporta comme un lâche au moment de l’exécution alors que Dariez, lui, montra davantage de courage. Il demanda à s’entretenir avec le duc d’Angoulême à qui il sollicita sa grâce en récompense de certains services qu’il prétendait lui avoir rendus.
Celui-ci ne lui ayant pas répondu, il s’imagina qu’il lui pardonnerait sur l’échafaud et se livra donc sans résistance à l’exécuteur de la haute justice.
Le spectacle était lugubre. Les torches brillaient au milieu de la nuit et les pénitents portaient les cercueils des condamnés.
Boniface subit le premier sa peine. Dariez demanda à parler aux assistants.
« Obéissez à Monseigneur, cria-t-il de manière à être entendu du grand prieur, c’est un prince débonnaire, magnanime et frère du roi. Servez-le mieux que je ne l’ai fait. »
Il ajouta qu’il n’avait jamais eu dessein de conspirer contre sa patrie ni de la livrer aux ligueurs. Il prit Dieu à témoin de la vérité de sa parole, fit de nouveaux éloges au duc d’Angoulême, dont il attendait toujours la grâce.
Voyant qu’elle ne venait pas, il changea de ton. Le désespoir s’empara de lui et, emporté par la colère, il s’écria :
« Je me dédis, Messieurs, de tout ce que je viens de dire. Prenez garde à vous. Il y a dans la ville des personnes qui ont formé le projet de la livrer au roi de Navarre et qui cherchent à vous trahir. Tout ce que j’ai fait ne vient que d’un grand zèle pour la foi catholique. Empêchez tant que vous pourrez que les religionnaires ne soient les maîtres. »
Il se tourna ensuite vers l’exécuteur :
« As-tu peur, bourreau ? Ce serait à moi de trembler. »
Les pénitents chantaient des cantiques. Dariez se mit à genoux, mêla un moment sa voix aux leurs et fit une courte prière.
Quand il se releva, il était plus calme.
« Es-tu prêt ? dit-il au bourreau. Il faut quitter la vie. »
La corde fut aussitôt passée à son cou. Un instant après, il était lancé dans l’éternité.
Henri III était dans la salle du Louvre quand il apprit la nouvelle de ces événements. Il fut si satisfait qu’il ne put s’empêcher de donner sa main à baiser à d’Arène et Spinan, les députés de Marseille, qui se trouvaient là.
« Mes amis, ajouta-t-il, je vous accorde ce que vous m’avez demandé et davantage, s’il est besoin. Ma libéralité ne suffira jamais pour reconnaître votre fidélité. »
D’après un texte de Théodore Henry (1870).
- Sources : Le Petit Marseillais, 16 avril 1868, p. 2 ; 13 avril 1870, p. 2.