Noyée dans la rivière (Comps-sur-Artuby, 15 juillet 1806)

« L’an mil huit cens six et le quinze juillet a cinq heures après midi, devant nous Laurens Honnoré Lyons, premier supleant du juge de paix du canton de Comps, residant au dit Comps, est comparu Laurens Maurin, marechal a forge de cette dite commune, qui nous a dit qu’il s’était repandu le bruit qu’il s’était noyé un individu a la riviere d’Artubi ; et, sous le pont près de ce lieu, sur le chemin qui va au hameau de l’Avelan ; que sur cet avis nous dit premier suppleant, en absence du juge et du greffier de paix qui resident a Trigance, et attendu l’urgence, nous nous serions rendûs, accompagné des sieurs André Fabre et André Maurin, notables et officiers municipaux de cette commune de Comps, et beaucoup d’autres personnes qui nous ont suivi, et entre autres du sieur Joseph Perrache, officier de santé resident en cette meme commune que nous aurions requis de venir avec nous a l’endroit de la dite riviere et du pont qui nous avait été indiqué, où etant nous aurions prié et requis le sieur Joseph Perrache fils, bon najeur, de plonger la touve d’eau pour sortir le cadavre qui etait au fonds ; ce qui aurait été exécuté avec beaucoup de peine ; et le corps tiré sur le rivage par le moyen des cordages, attendu les difficultés precipiteuses du local, et etandu sur le terrein, assisté des dits deux notables, nous l’avons examiné et remarqué que s’était celui d’un individu feminin agé de près de dix-huit ans, taille d’environ un metre six cens vingt quatre millimetres, sans coeffe, ayant les cheveux noirs, portant sur son corps un mouchoir cotton pourpre au cou avec une chemise, un corset de nanquin jaune, une juppe de cottonet quadrillée de bleu et de blanc, des bas de cotton bleu et sans souliers, ni ayant apperçû aucunes blessures.
Tout de suite, a notre requis, le dit sieur Perrache, chirurgien, aurait examiné le cadavre, l’aurait visité et nous aurait declaré qu’il n’aurait trouvé ni blessures ni contusions sur toute l’habitude de son corps, qu’il lui paraissait que ce corps avait sejourné six ou sept heures dans l’eau, qu’il se trouvait sans vie, lui paraissant fort inutile de lui administrer des secours ; qu’au reste il lui en donnerait, mais que pour cela il fallait le faire transporter dans une maison où il peut user a propos des moyens que son art lui indiquait dans pareilles circonstances
Et tout de suite nous, premier suppleant, avons ordonné que le corps serait transporté a l’hopital de la commune de Comps comme au batiment le plus pratique où les cadavres noyés sont ordinairement deposés, par le dit chirurgien ; tous les remedes de l’art, et ne rien negliger pour la rappeler a la vie, ce qui aurait été desuite exécuté, que ce cadavre transporté au dit depôt, le sieur Perrache aurait fait toutes les operations que son art lui indiquait, declarant, qu’apres avoir étendu sur un lit le cadavre noyé, l’avoir, a l’aide d’un feu gradué, echauffé peu a peu, avoir fait des frictions sur ce corps avec des flanelles et des servietes chaudes, avoir essayé de lui faire respirer de la fumée, de l’avoir agité en tous sens le cadavre enveloppé dans des couvertures de laine, tout a été inutile ; ce cadavre n’ayant après toutes ces operations inutilement repétées, donné aucun signe de vie, et que la mort etant certaine, il n’y avait qu’a le faire inhumer.
Après cette declaration du chirurgien, nous avons confié la garde, pendant la nuit, du cadavre, a Jean Baptiste Parreimond, cultivateur, et a Élizabeth Esteve, veuve de Jacques Gaitte, aussi cultivateur de cette commune, pour rester entre leurs mains jusqu’a ce qu’il en soit autrement ordonné.
De tout quoi nous avons fait et dressé le present procès verbal que nous avons signé, avec le sieur Fabre, Maurin, notables, le sieur Perrache, officier de santé, et le dit Parraimond, la dite Esteve ayant declaré ne savoir écrire.
[Perrache, Fabre, Maurin et Lyons pr[ocureur] sup[pléan]t du j[uge] d[e] p[aix] a la minute.]
Du seize juillet mil huit cens six a huit heures du matin devant nous Jean Louis Ingignac, juge de paix du canton de Comps, assité du sieur Michel Dominique Aicard, notre greffier, est comparû le sieur Laurens Honnoré Lyons, notre premier supleant, qui nous a exposé qu’hier sur les cinq heures du soir, il fut appellé en notre absence pour aller constater l’état d’un cadavre noyé sur la riviere d’Artubi ; que ne croyant pas pouvoir se refuser a en remplir les fonctions, il se transporta sur les lieux, avec deux notables et un officier de santé, qu’il prit le verbal ci dessus, nous priant de lui conceder acte de sa remisssion, sauf à nous ordonner ce que les circonstances exigeront d’éxecuter et a signé a la minute lyons pr[ocureur] sup[pléan]t du j[uge] d[e] p[aix].
Vû le procés verbal du sieur Lyons, notre premier suppleant, de la remission duquel nous lui avons concedé acte l’an, jour et heure susdits.
Et tout de suite nous nous serions portés au depôt où etait placé le cadavre, ou nous avons trouvé Jean Baptiste Parreimond et Élizabeth Esteve qu’en avaient la garde en compagnie de notre greffier ; et au meme instant est survenû André Collomp, fils de feu Marc Antoine, aubergiste de cette commune de Comps, qui nous a dit qu’ayant eu connaissance, hier au soir, qu’on avait pêché un individu feminin a la riviere d’Artubi. Et une de ses soeurs nommée Brigitte manquait de la maison paternelle, depuis hier au matin, neuf a dix heures et l’avoir faite inutilement chercher dans les environs, il craignait qu’en voulant se laver, elle n’aye été la triste victime de son imprudence, qu’en voyant le cadavre il reconnait avec la plus profonde douleur le dit cadavre pour étre celui de son infortunée soeur Brigitte qu’a deffaut de sa mere actuellement detenue dans son lit d’affliction, il vient reclamer le dit cadavre pour le faire inhumer et a signé André Collomp a la minute.
De laquelle comparution et reclamation nous en avons donné acte au dit André Collomp, et ordonnons que le cadavre dont il est question lui sera remis pour lui procurer la sepulture et toutes les ceremonies religieuses attendu que la mort de la dite Brigitte collomp, d’après le rapport de l’officier de santé, parait etre naturelle et non un delit.
De tout quoi nous avons dresse les present procès verbal dont il en sera remis une expedition a lofficier public de cette commune de Comps.
A Comps, l’an et jour susdits.
[Ingignac j[uge] d[e] paix et Aycard, greffier.]
pour expedition conforme »
  • Extrait des minutes du greffe du juge de paix du canton de Comps-sur-Artuby.
  • Texte transmis par Nadine Barret.

Illustration : Carte de Cassini, XVIIIe siècle, Comps et l’Artuby.

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