La fréquentation des bains de la ville de Digne ne date pas de notre époque. D’aussi loin que remontent les archives communales, on trouve des allusions régulières à cet établissement dans lequel se pressaient de nombreux habitants dans le but d’apporter à leurs maux quelque soulagement ou tout du moins de jouir d’un moment de détente.
L’histoire est ancienne en effet et il faut pourtant imaginer nos ancêtres y faire les mêmes gestes que nous aujourd’hui. Si les faits divers et autres anecdotes ne sont pas légion lorsqu’il s’agit d’évoquer cette vénérable institution, celui qui est survenu durant l’année 1337 mérite d’être évoqué tant dans les faits eux-mêmes que dans les conjectures qu’il soulève. Voyez plutôt :
Le 23 juin 1337 au soir, alors que des dames de qualité se prélassent aux bains de Digne comme à l’accoutumée, entrent dans la salle réservée plusieurs personnes enveloppées de voiles. Les regards sont interrogateurs : qui sont ces nouvelles têtes jamais vues ici jusqu’alors ? Alors que l’on se pose encore la question, on découvre vite qu’en fait de femmes, c’est une bande de jeunes voyous, « fils d’iniquité et dévoyés par instigation diabolique » comme on le rapportera alors, qui vient se baigner en compagnie de ces dames.
Au moment de pénétrer dans l’eau, ces fausses femmes ôtent soudain leurs vêtements et se jettent sur les dames présentes afin de leur faire subir des outrages. Oscillantes per violentiam, carnaliter cognoscere satagentes, pour reprendre les termes du rédacteur du document. Une expression difficilement traduisible mais tombant de toute évidence sous le coup de quelque article du code pénal.
Les femmes refusent de se laisser faire, poussent des hurlements pour faire venir de l’aide et leur « clameur intense » leur permet finalement de se débarrasser de leurs agresseurs.
Courageuses certes, mais bien peu considérées au final puisque l’affaire ne sera que mollement instruite, au début du moins, les magistrats semblant traîner des pieds pour faire payer les coupables. Cette attitude lamentable oblige le sénéchal de Provence et de Forcalquier, Philippe de Sanguinet, à enjoindre vivement les magistrats dignois à retrouver les coupables « avec une extrême diligence » et à les faire payer.
Que ceux-ci subirent leur peine, cela ne fait aucun doute. Ce qui est plus douteux en revanche, c’est que les gens de la noblesse qui avaient payé ces vauriens pour commettre ce forfait (ad suggestionem aliquarum personarum nobilium) furent inquiétés. Car si de hautes personnalités furent effectivement impliquées dans cette affaire lamentable, aucune ne fut poursuivie contrairement à leurs minables exécutants.
Ainsi s’amusait la noblesse dignoise au Moyen Âge.