Une beauté fatale (Manosque, 1341)

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Nous sommes en 1341 en un lieu et une époque où l’on n’accorde globalement pas une im­por­tance démesurée à la vie humaine. Ainsi, pour des peccadilles, nombre de Manosquins se re­trouvent occis, qui pour un regard de travers, qui pour une parole malheureuse. Que les Manos­quins se rassurent, la constatation vaut pour le reste des Provençaux.
L’affaire que voici est advenue, à Manosque donc, à un jeune homme du nom de Pierre Nicolas. Celui-ci croise un jour une femme qu’il connaît bien : Cécile Ébrard, la veuve d’Étienne. Aussitôt, à sa vue, son visage s’illumine. Il a reconnu celle qu’il lui est arrivé plusieurs fois de connaître charnellement et qui lui a laissé tant de souvenirs émus. La belle, à peine plus âgée que Nicolas, s’approche de lui et, de sa voix la plus charmeuse, lui fait :
beaute-fatale« Compère, m’oublierais-tu donc ? »
Oublier Cécile ! Comment serait-ce possible, elle dont la seule image suffit à enflammer ses nuits. Bredouillant quelques paroles à la hauteur de son embarras, Pierre Nicolas n’a pas le temps de rester penaud longtemps. La belle poursuit :
« Je t’attends ce soir dans ma chambre. »
Le rendez-vous est pris et le jeune homme retourne chez lui, la mine égayée pour le restant de sa journée. Et quand le soir arrive, après s’être vêtu de ses plus beaux habits, il arrive devant la porte de la veuve à laquelle il toque pour signaler sa présence.
Celle-ci lui ouvre mais, alors qu’il s’attend à un voluptueux baiser d’accueil, c’est un poignard dans le bras qui vient lui souhaiter la bienvenue. Entraîné malgré lui vers l’intérieur par plusieurs hommes armés, il ressent des douleurs intenses à mesure que de nouveaux coups lui sont infligés à tour de rôle, tandis que la belle Cécile indique aux bourreaux les endroits où frapper pour que la mort vienne plus vite. Enfin, un coup de grâce est porté au malheureux Pierre qui quitte ce monde dans la douleur.
Cécile Ébrard va forcément finir sur l’échafaud !
Eh bien, non : en janvier 1342, à l’occasion de son procès, elle est acquittée par le juge de Manosque, « faute de preuve », selon l’homme de droit, alors que les faits établis par l’instruction sont formellement avérés. Nous nous contenterons de cet épilogue judiciaire sans réellement comprendre ce qui aura animé les conclusions du jugement.
Toujours est-il que, lors de cette soirée, le pauvre Pierre Nicolas a eu comme dernière vision celle d’une femme qui s’acharnait à hâter sa mort. Une beauté fatale, en somme…
  • Source : Damase Arbaud, Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge, tome 1, 1847.
  • Photographie : Fontaine d’Aubette (Manosque). DR.

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