23 août 1873
L’an mil huit cent, etc.
Nous Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
Vu le procès-verbal du garde-champêtre Léger1,
Avons fait amener en notre présence les dénommés ci-après :
1) Louise Michel, dite Valière, âgée de 19 ans, née à Aix, en 1853, fille de Joseph et de Victorine Roux, marchande de poissons, domiciliée rue Petit-Saint-Esprit n°4, à Aix, enceinte de trois mois, laquelle nie tous les faits relevés par le procès-verbal, tout en reconnaissant qu’elle s’est trouvée engagée dans une lutte pour secourir la mère de son amant qui était assaillie par trois individus qui l’accusaient de voler des osiers dans la propriété de M. Robert.
2) Milani Ferdinand, âgé de 20 ans, né à Castellet (Basses-Alpes)2, fils de Joseph et d’Apollonie Blanc, ouvrier chapelier, demeurant chez ses parents, cours Sainte-Anne n°9, à Aix, amant de la fille Louise Michel, lequel nous déclare qu’il n’a pas volé le filet du sieur Paulin, mais qu’il l’a seulement pris pour aller pêcher avec l’intention de le rapporter ensuite et que, du reste, il l’a rendu à son propriétaire qui le lui réclamait ; qu’il n’a pas volé des osiers, ni frappé le sieur Fabre Siméon mais qu’il est venu au secours de sa mère qui était assaillie par trois individus et qu’il n’est nullement l’auteur, ainsi que sa maîtresse, du vol de pommes de terre au préjudice de Diouloufet.
3) Apollonie Blanc, femme Milani Joseph, âgée de 55 ans, fille de Benoît et de Madeleine Martin, journalière, demeurant cours Sainte-Anne n°9, à Aix, mère du prévenu Milani Ferdinand, laquelle affirme n’avoir point coupé et volé des osiers dans la propriété de M. Robert, mais simplement qu’elle s’y reposait lorsqu’elle a été assaillie par trois hommes qui l’accusaient de ce vol et que c’est pendant qu’elle se défendait contre ces trois hommes que son fils et Louise Michel, entendant ses cris, sont venus à son secours et l’ont dégagée. Elle ne sait rien des deux autres vols.
Les renseignements recueillis sur Louise Michel, principalement, et Milani Ferdinand, qui s’absentaient souvent, étant très mauvais, nous les avons fait conduire devant M. le Procureur de la République, pour y être laissés à sa disposition.
Fait à Aix, etc.
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26 août 1873
L’an mil huit cent, etc.
Nous Hivert Pierre Antoine, commissaire de police, etc.
Agissant en vertu de la commission rogatoire ci-jointe de M. le Juge d’Instruction d’Aix, en date du 25 août courant, et procédant à une information sur les faits de vols divers dont sont inculpés les nommés :
Milany Ferdinand, âgé de 20 ans, né au Castellet (Basses-Alpes), fils de Joseph et de Apollonie Blanc, ouvrier chapelier, demeurant à Aix, cours Sainte-Anne n°9, détenu ;
Michel Louise, dit Valière, âgée de 19 ans, marchande de poisson, née à Aix en 1853, fille de Joseph et de Victorine Roux, demeurant à Aix, rue Petit-Saint-Esprit n°3, détenue ;
et Blanc Apollonie, femme Milany Joseph, âgée de 55 ans, fille de Benoît et de Madeleine Martin, journalière, domiciliée cours Sainte-Anne n°9, à Aix.
Nous sommes transporté au domicile de la nommée Louise Michel et y avons procédé à une visite domiciliaire qui n’a eu pour résultat que la découverte de 2,5 kg de noisettes non en maturité et de jeux pour faire jouer sur les champs de foire, que nous avons saisis.
Nous avons entendu ensuite les témoins ci-après :
1. Fabre Siméon, âgé de 47 ans, cultivateur, demeurant à Aix, cours Orbitelle, maison Robert, lequel nous a fait la déclaration suivante :
« Je suis employé depuis cinq ans chez M. Robert et affecté spécialement à l’exploitation de sa campagne au quartier de Rocasson3. En raison des dommages qui nous sont faits par les maraudeurs, je fais des tournées dans la propriété et, plusieurs fois déjà, j’avais surpris la femme Milany, que je ne connaissais pas alors, coupant des osiers dans un terrain spécialement affecté à cette récolte. Je m’étais toujours contenté de la chasser, lorsque, mercredi 20 août courant, vers neuf heures du matin, je l’ai surprise de nouveau, ayant à côté d’elle environ 70 kg d’osiers dont elle était en train d’enlever l’écorce, ainsi que son fils Ferdinand et Louise Michel, qui étaient assis tous les deux à quelques pas d’elle et faisant la même opération de l’autre côté de la rivière. J’ai constaté que ces osiers avaient été fraîchement coupés sur notre terrain. J’ai voulu reprendre les osiers et chasser cette femme lorsque les deux jeunes gens sont arrivés, m’ont jeté à terre, puis le jeune homme a sorti son couteau et m’a menacé de me le planter dans le ventre. Comme j’étais seul et dans l’impossibilité de faire résistance, je suis allé chercher les sieurs Bossy Joseph et Lafond Paulin, qui sont venus avec moi sur les lieux, ce qui a décidé les malfaiteurs à prendre la fuite en emportant les osiers et en traversant l’Arc. J’évalue à trente-cinq francs les dommages causés par ces individus qui ont laissé sur les lieux des raisins et des pommes de terre. »
Après lecture faite de sa déclaration, le témoin a dit ne savoir signer.
2) Bossy Joseph, âgé de 72 ans, propriétaire cultivateur, demeurant à Aix, quartier de Camp-de-Mante, confirme en ce qui le concerne la déclaration du sieur Fabre Siméon. Il a parfaitement reconnu le jeune homme et la jeune femme, comme étant ceux qui, le lundi précédent, avaient volé le filet de Paulin Lafond, son locataire.
Lecture faite, le témoin a déclaré ne savoir signer.
3) Lafond Paulin, âgé de 62 ans, jardinier, demeurant à Aix, quartier de Camp-de-Mante, maison Bossy, déclare ce qui suit :
« Le lundi 18 août courant entre onze heures et demie et midi, je revenais de la chasse en compagnie du sieur Bossy Joseph, mon propriétaire, lorsque, arrivés à environ 80 mètres se notre habitation, nous avons rencontré Louise Michel, que je connaissais, avec un jeune homme entre les mains duquel j’ai reconnu un filet de pêche m’appartenant, que j’avais laissé le matin étendu devant ma porte. J’ai réclamé mon filet à ce jeune homme qui m’a répondu qu’il lui appartenait et qu’il l’avait acheté à Aix pour vingt-cinq sous.
« Comme je persistais à rentrer dans la possession de mon filet et que je cherchais à amener à la bastide qui se refusait à le rendre, Louise Michel s’est avancée sur moi, tenant à la main un bâton d’un mètre environ de longueur et de la grosseur du bras et m’a menacé de m’en frapper ; à ce moment, le jeune homme a lâché le filet et je les ai laissés partir.
« Dans l’affaire relative au vol des osiers dans la propriété Robert, je n’ai pas vu commettre le vol mais, après avoir été appelé par Siméon Fabre, j’ai parfaitement reconnu parmi ces trois personnes qui se sauvaient Louise Michel et le jeune homme qui avait volé mon filet. »
Le témoin a dit ne savoir signer.
4) Diouloufet Jean-Baptiste, âgé de 65 ans, rentier de la campagne de M. Imbard, quartier de la Pioline, commune d’Aix, déclare ce qui suit :
« Le dimanche 17 août courant, au matin, m’étant transporté dans un champ près de la rivière de l’Arc, en face de la propriété de M. Robert, j’ai constaté que, dans la nuit du 16 au 17 août, on m’avait arraché et volé environ 70 kg de pommes de terre. Il m’a été aussi volé des légumes de diverses qualités. Je n’ai vu personne commettre le vol, mais Fabre Siméon ayant surpris Louise Michel et son amant abandonnant des pommes de terre sur le sable de la propriété Robert, j’ai lieu de supposer que ce sont eux qui m’ont volé, attendu que je les vois constamment rôder autour des propriétés de notre quartier. »
Lecture faite, le témoin a déclaré ne savoir signer.
5) Robert Jean-Baptiste, âgé de 57 ans, maître-maçon, demeurant à Aix, cours Orbitelle n°3, déclare ce qui suit :
« Depuis longtemps je m’apercevais de nombreux vols de pommes de terre, de raisins, d’osiers et autres récoltes, commis dans ma propriété au quartier de Rocasson. Plusieurs fois j’avais aperçu la mère Milany sortir de ma propriété avec un paquet d’osiers de 25 à 30 kg sur la tête et son tablier plein de choses que je ne pouvais apercevoir. Le mercredi 20 août courant, je me suis transporté dans ma propriété environ une heure après le vol qui a motivé l’intervention de mon ouvrier Fabre Siméon. J’ai constaté que le dégât qui m’a été occasionné dans cette partie de ma propriété qui avoisine l’Arc peut s’élever à la somme d’environ 200 francs. Il restait du reste sur les lieux de quoi charger deux charretons d’écorces ou de débris d’osiers. Cette partie de ma propriété qui paraissait être le lieu de rendez-vous de ces malfaiteurs est très boisée et encaissée et il fallait arriver sur les lieux pour y découvrir ceux qui s’y réfugiaient. »
Lecture faite de sa déclaration, le sieur Robert a signé avec nous.
6) Bossy Antoine, âgé de 60 ans, fermier de M. Clauzel, demeurant à Aix, rue des Cordeliers n°20, déclare ce qui suit :
« Le jeudi 20 août courant, je me suis transporté au quartier de la Pioline dans ma propriété que je tiens en ferme de M. Clauzel et où je fais mon jardinage et j’y ai constaté que des dégâts fraîchement faits et ne pouvant remonter qu’à la veille pouvaient s’élever à la somme d’environ dix francs, consistant en toute espèce des légumes. Je n’ai vu personne rôder autour de ma propriété, mais j’ai su par des voisins que la nommée Louise Michel et un jeune homme avaient été surpris le même jour dans la propriété de M. Robert, mon voisin, et, comme ces individus sont constamment à rôder dans notre quartier, j’ai lieu de supposer qu’ils sont les auteurs du vol commis chez moi le 20 août dernier, et de ceux moins importants commis précédemment. »
Après lecture faite, le témoin a déclaré ne savoir signer.
De tout quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal qui sera transmis à M. le Juge d’Instruction.
Fait à Aix, etc.
1. Ce procès-verbal n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous.
2. Le Castellet se situe à l’est d’Oraison (Alpes-de-Haute-Provence), passé le bois de Saint-Martin.
3. Nous n’avons pas trouvé la trace de ce quartier Rocasson. Après recoupement, il semble que l’histoire se situe entre l’actuel quartier de la Parade (sud d’Aix-en-Provence) et celui de la Pioline, zone aujourd’hui recouverte par l’autoroute.
- Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, I1-15 n°381.
- Photographie : Au premier plan, le 4, rue Petit-Saint-Esprit de nos jours. © Jean Marie Desbois, 2005.