Une inauguration officielle (Rousset, 29 novembre 1868)

Les inaugurations officielles ne sont pas l’apanage de notre siècle et, il y a cent ou cent cinquante ans déjà, de nouveaux édifices à inaugurer publiquement étaient aussi l’occasion de festivités qui mettaient en joie les populations des villages de Provence.
Pour illustrer ce fait, nous considérerons l’exemple de l’inauguration d’un pont construit en 1868 sur le territoire de la commune de Rousset (Bouches-du-Rhône) et enjambant la rivière de l’Arc. Décrivant le déroulement de cette journée particulière et sans doute mémorable pour les habitants.
rousset-pont-sur-arcHormis les gens de Rousset, de nombreuses personnes des communes voisines sont aussi venues assister à l’événement. Celui-ci est présidé par Vidal, le sous-préfet de l’arrondissement et de nombreuses personnalités sont présentes : M. Borde, représentant local au Conseil général, Laborde, maire de Rousset, évidemment, mais aussi le curé et d’autres notables. L’abbé Reynaud, vicaire général de l’archevêque d’Aix, prononce un discours de circonstance « dont les mâles accents et l’élocution nerveuse ont vivement frappé l’auditoire », précisera un journaliste dépêché à Rousset.
Une fois le pont béni par les représentants religieux et la matinée touchant à sa fin, chacun est convié à un banquet offert par le conseil municipal dans une des propriétés de M. Borde, et dont le nombre de couverts est fixé à cent cinquante. L’affabilité des dames du château fait la meilleure impression sur les invités.
Une fois chacun restauré, le maire se lève au moment du dessert et prononce une allocution fort bien accueillie par les applaudissements de l’assistance. Vidal, le sous-préfet, prend ensuite la parole et prononce une allocution qui restera à la postérité et dont vous trouverez le texte plus bas.
Enfin, c’est tour à tour Borde, du Conseil général, puis Méry, professeur à la faculté des lettres d’Aix, de prononcer quelques mots improvisés mais chaleureux qui obtiennent le plus grand succès de l’auditoire.
L’après-midi avance doucement et c’est l’Orphéon de Fuveau, club de musique, qui conclue ce bon moment par ses symphonies, ses accords, les salves de ses boîtes et les sonneries de ses cloches.

Discours de Vidal, sous-préfet

Le 29 novembre 1868, à l’occasion de l’inauguration d’un pont sur l’Arc, à Rousset.

« Messieurs,
Le beau pont que nous venons d’inaugurer est l’objet d’une grande et légitime satisfaction, non seulement pour la population de Rousset, qui l’appelait de tous ses vœux, mais aussi pour l’administration supérieure, qui portait à cette utile entreprise le plus vif intérêt. Elle vous en a donné la mesure, en obtenant du Conseil général une subvention de 10 000 fr. qui en a assuré le prompt achèvement.
Ce pont, Messieurs, en reliant les riches contrées que la rivière de l’Arc séparait, fait disparaître, une lacune regrettable de vos voies de communication ; il rapproche votre commune du riche bassin houiller de Fuveau ; il la met en relation directe avec le chemin de fer du Var-Central, qui a été récemment concédé, et avec celui d’Aubagne à Valdonne, qui, dans un avenir certain, viendra s’y embrancher après avoir traversé les mines de Gréasque et de Fuveau.
C’est donc avec raison et avec un intelligent pressentiment de son avenir, que. la population de cette commune, après s’être imposée pour cette importante entreprise les plus louables sacrifices, en salue aujourd’hui par des élans de joie l’heureux et prompt achèvement.
C’est pour m’associer à ces patriotiques manifestations, que je suis venu au milieu de vous, représentant de l’autorité supérieure, vous apporter ses félicitations et ses encouragements. Je regrette, et vous regretterez avec moi, que l’éminent Préfet, qui porte aux intérêts publics de toutes ses communes un si intelligent dévouement, n’ait pas pu venir présider au couronnement d’une œuvre qu’il a puissamment encouragée. Retenu par des devoirs pressants, il a bien voulu me déléguer à sa place en me chargeant de vous exprimer ses sentiments de sympathique dévouement.
La commune de Rousset mérite d’autant plus nos éloges qu’elle a donné, en ces dernières années, le rare et fécond exemple du progrès réalisé par l’initiative individuelle. Sans attendre, en effet, l’impulsion supérieure, elle s’est résolument mise à l’œuvre, a fait appel à tous les dévouements, et, à l’aide de souscriptions volontaires, sans aggraver la charge des contributions locales, elle a pu réaliser, en peu de temps, un ensemble d’améliorations vraiment remarquable.
C’est ainsi qu’elle a édifié, à la fois, une église monumentale que de plus riches communes pourraient lui envier, et un presbytère parfaitement approprié ; c’est ainsi qu’elle a pu amener dans ses fontaines des eaux abondantes et limpides, si précieuses pour tous ; qu’elle a créé des places publiques ; ouvert des avenues et des chemins qui, en facilitant la circulation, concourent à l’embellissement du village; c’est ainsi, enfin, que bientôt, je l’espère, elle sera dotée d’un nouvel édifice public, réunissant les services de la mairie et des écoles primaires, dont la bonne installation mérite d’exciter notre plus vif intérêt.
Honneur à vous tous, Messieurs, qui avez si bien compris que la prospérité d’une commune dépend, avant tout, de l’initiative de ses habitants, et que, dans un siècle de progrès, comme le nôtre, lorsqu’il s’agit d’améliorations utiles, attendre c’est reculer.
L’administration supérieure s’est associée avec empressement à vos généreux efforts ; mais elle n’ignore pas tout ce que doit la commune à son excellent maire, si bien secondé par son conseil municipal ; à son digne curé, qui par sa persévérance a pu mener à bonne fin la construction des édifices religieux ; à l’honorable M. Borde, votre représentant au Conseil général, qui met si généreusement au service de son pays ses libéralités et ses conseils éclairés ; à tous ceux, enfin, qui ont concouru par leurs donations et leurs souscriptions à la prompte exécution des nombreuses améliorations que je viens de signaler.
Je ne suis donc que l’interprète de vos sentiments, Messieurs, en adressant ici à tous ces bienfaiteurs l’expression de la reconnaissance publique et les remerciements de l’administration supérieure.
M. le Maire, en terminant cette allocution, je tiens à vous remercier des sentiments que vous venez de m’exprimer en termes qui m’ont vivement touché. J’en reporte l’honneur à notre digne et cher Préfet, qui, comme moi, professe pour la commune de Rousset et pour ses honorables administrateurs autant d’estime que d’attachement.
Quant à ces manifestations enthousiastes de reconnaissance et de dévouement, que nous recueillons avec bonheur de toutes parts, elles s’élèvent toutes jusqu’à l’Empereur, qui, au sein de ces honnêtes et laborieuses populations, ne compte que des amis sincères, dont la fidélité inébranlable n’attend qu’une prochaine et solennelle occasion pour s’affirmer avec une nouvelle énergie. »
  • Photographie : Pont sur l’Arc. DR.

 

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