Une visite chez le cordonnier (Sisteron, années 1880)

La scène, authentique, se déroule à Sisteron, au début des années 1880. Deux gandins se présentent chez un cordonnier.

Vue générale de Sisteron vers 1900. DR.
Vue générale de Sisteron
vers 1900. DR.

« Monsieur, dit l’un d’eux, je suis étranger, je désirerais avoir une paire de bottes et, comme l’un de mes amis m’a appris que vous étiez un de nos meilleurs bottiers, je m’adresse à vous. Je dois partir dans quelques heures et je désirerais avoir mes bottes immédiatement : du reste, je ne regarde pas au prix, pourvu que je sois bien servi.
— Monsieur, lui répondit le cordonnier, avec des gens comme vous on trouve toujours moyen de s’entendre. Veuillez entrer dans la chambre ici près et, là, vous essaierez cette paire qui, je pense, vous ira bien. »
L’étranger essaya plusieurs paires ; enfin il fixa son choix. Les bottes qu’il avait préférées entraient assez difficilement. « Mon cher, lui disait son compagnons, dans quelques heures, nous serons parvenus au but de notre voyage ; tu fais une insigne folie en achetant des bottes qui n’ont point été faites pour toi.
— Je te dis qu’elles m’iront bien.
— Je te dis que non ; vois : tu étouffes.
— En effet, mais par un temps pareil ce n’est pas étonnant… Monsieur, si vous aviez la bonté d’ouvrir la porte.

Cordonnier (1888). Lothar Meggendorfer et Franz Bonn.
Cordonnier (1888).
Lothar Meggendorfer
et Franz Bonn.

— Avec plaisir, monsieur », reprit le cordonnier.
Cependant, l’amateur avait mis ses bottes et son ami ne cessait d’en faire la critique. L’autre, enthousiaste de sa chaussure, s’apprêtait à tirer sa bourse pour payer le cordonnier quand son camarade s’écria :
« C’est absurde, mon cher. Tu vas boiter. Ces bottes sont détestablement faites.
— Détestablement faites, répéta le cordonnier avec douleur.
— Tu as menti, dit l’amateur à son compagnon.
— Ose répéter ce mot », dit celui-ci, et un soufflet vigoureusement appliqué accompagna ces paroles. L’autre de riposter, tous deux de se poursuivre. Ils coururent ainsi jusqu’au bout de la rue. Le cordonnier les regardait faire, en disant :
« Ah ! détestablement faites… Il l’attrapera, il l’attrapera… »
Si quelqu’un fut attrapé, c’est lui. Car, à force de courir, les deux étrangers furent hors de vue et hors d’atteinte.

Et notre bottier commence à croire qu’il ne reverra plus ni ses bottes ni leur prix.

  • Source : Le Mémorial d’Aix

 

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