[Provençal] Le Trembleur / Lou Tremoulaire

Voici une petite histoire inspirée du tremblement de terre de Lambesc, du 11 juin 1909. Nous vous la proposons en français, accompagnée de sa traduction provençale réalisée par Martine Bautista.


ILS ÉTAIENT FIANCÉS depuis la Saint-Michel 1908, et se marièrent le 30 avril 1909, le dernier jour permis avant le mois de mai pour respecter la coutume religieuse.
Ils ne partirent pas en voyage de noces, ce n’était pas la mode et le travail pressait aux champs.
Le novi était paysan et fier de l’être. Il était surtout orgueilleux de ses chevaux. Des bêtes splendides pour lesquelles un tiers du domaine était semé en luzerne.
Même le jour de ses noces, il fit attendre le maire et le curé en prenant le temps de donner à manger et à boire à ses chevaux.
Rien d’étonnant par conséquent à ce qu’il préférât passer des nuits de printemps dans les ruisseaux d’arrosage plutôt qu’avec sa jeune épouse.
Tous les paysans qui font de la luzerne savent que celle-ci adore être arrosée durant la nuit. C’est sous la lune qu’elle boit le mieux et puis cela permet de faucher l’eau aux voisins…
La jeune femme faisait bon cœur contre mauvaises nuits, et quoiqu’elle fût lasse de dormir dans ses draps de lin, elle faisait la part des choses en se disant que dès qu’il aurait achevé l’arrosage des luzernes, elle l’aurait enfin pour elle seule !
Le matin du 11 juin 1909, avant de partir aux champs, le jeune paysan annonça à sa femme : « Ce soir, je couche ici… J’ai fini les arrosages… »
Elle était provençale, donc pragmatique, et répondit simplement :
« Bon… Alors, je change les draps… »
Elle chantonna toute la journée en attendant le retour de son jeune mari.
Ils se couchèrent très tôt… À l’heure des poules… Et entreprirent de combler le retard de câlins causé par l’arrosage des luzernes.
lambesc-tremblement-de-terreIl n’y avait pas une heure qu’ils étaient couchés que soudain, braoum, badaroum, roum… Le tremblement de terre !
Les meubles tremblaient, le lit tremblait, la maison tremblait, et la jeune mariée ne se rendit compte de rien !
Elle dit simplement à son homme :
« Va plus doucement mon chéri… Qu’est-ce que qu’ils vont dire les voisins, même la maison qui tremble ! »
Le lendemain, elle ne voulut même pas croire qu’il y avait eu un tremblement de terre… même en sachant que son mari était désormais surnommé « Le Trembleur » !
Et bien des années plus tard, elle regardait encore les fentes des murailles en soupirant : « Quelle nuit… Oh, quelle nuit ! »


ĖRON FIANÇA DESPIÈI la Sant-Miquèu de 1908 e se maridèron lou 30 d’abriéu de 1909, lou darrié jour permes avans lou mes de Mai pèr respeta la coustumo religiouso. Noun partiguèron en viage de noço, èro pas lis usanço en aqueste tèms, demai i’avié forço travai dins li champ.

Lou nòvi èro pacan e fièr de l’èstre. Èro subretout ourgueious de si chivau. De bèstis ufanouso pèr quau un tiers dóu tenemen èro semena de luserno.

Meme lou jour de si noço, faguè espera lou conse e lou capelan en prenènt lou tèms d’apastura e d’abéura si chivau. Rèn d’estounant coume acò que preferissié passa li niue de la primo dins li canau d’arrousage pulèu qu’emé sa jouino nòvi.

Tóuti li pacan que fan de luserno, sabon que i’agrado d’èstre arrousado de niue. Es souto la luno que bèu lou miés e pièi permes d’empega d’aigo i vesin… La jouino femo fasié bon cor contro marrìdi niue emai fuguèsse lasso de dourmi dins si lançòu de lin, se disié que tre l’arrousage de luserno acaba, l’aurié enfin pèr elo souleto !

De matin, lou 11 de jun 1909, avant que de parti i champ, lou jouine pacan venguè à sa femo : « Aqueste sèr, couche aqui… Ai fini lis arrousage… »
Èro prouvençalo, adounc pratico. Respoundeguè simplamen : « Bon… alor change li linçòu… »

Cantounejè touto la journado en esperant lou retour de soun jouine mari. S’empaièron d’ouro… A l’ouro de galino… E entre-prenguèron de faire gingin pèr lou manco causa pèr l’arrousage de luserno.
İ’avié pas uno ouro qu’èron ajassa que subran, braoum, badaroum, roum… Lou terro-tremo !

Li moble tremoulavon. Lou lié tremoulavo. L’oustau tremoulavo. E la jouino nòvi se n’en rendeguè pas comte !

Diguè simplamen à soun ome :

« Vai mai plan moun bèu… de que van dire li vesin ?… meme l’oustau que tremoulo ! »
L’endeman, vouguè pas meme crèire que i’avié agu un terro-tremo… Meme en sachènt que soun ome avié pèr escais-noum « lou tremoulaire » !

Bèn d’annado plus tard, regardavo encaro lis asclo de la muraio en souspirant : « Queto niue… oh, queto niue ! »

Photographie : DR.