Réponses des communautés ou Rabou en 1789

rabou-vue-generaleLe texte qui suit est la reproduction intégrale des « Réponses des communautés », rédigé en 1789. Il s’agit des réponses à des questions précises posées par les membres de la Commission intermédiaire des États de la province qui souhaitent mieux cerner la réalité économique de ces villages, alors que s’annonce la Révolution. Les réponses qui donnent l’état de ce village, rédigées par les consuls Orcière et Marcellin-Gros, laissent apparaître un village isolé qui a toutes les peines du monde à survivre mais qui, pourtant, ne semble pas se plaindre outre mesure de son sort. Il témoigne de la réalité sociale et économique d’une époque difficile. Orcière et Marcellin-Gros portent un regard réaliste, jamais fataliste, sur leur village, sans oser toutefois se porter dans l’avenir.
Le mémoire est publié tel que rédigé en 1789, bien qu’aucune date précise ne puisse être avancée. En revanche, les notes sont de l’Abbé Paul Guillaume, reproduisant et commentant ces textes en 1908.

Messieurs,
En réponse à l’honneur de la vôtre en date du 28 février dernier, nous vous dirons que les comptes ont été rendus, et le dernier l’a été au mois de janvier passé.

1. Quelle est l’étendue par aperçu du territoire, et quelles sont les différentes paroisses, villages ou hameaux qui la composent ?
Le territoire de Rabou cultivé, montueux et puissant, peut contenir environ cent charges. Il n’y a point de village, mais seulement quatre hameaux1 ; le plus fort est composé de onze habitants éloignés les uns des autres.
2. Quelle est la population de la communauté ?
Il peut y avoir quatre cents personnes, grandes ou petites.
3. Quels sont les médecins ou chirurgiens sur les lieux ou aux environs ?
4. Y-a-t-il sur les lieux ou à la proximité des accoucheuses instruites ?
Il n’y a aucune accoucheuse dans le lieu, excepté à Gap, qui est distant de deux lieues.
5. La communauté a-t-elle été fréquemment attaquée par des malades épidémiques et pratique-t-on l’inoculation de la petite vérole ?
La communauté n’a pas été attaquée depuis quelques années de maladie épidémique et l’on n’y pratique point l’inoculation.
6. Quelle est la manière de bâtir et de couvrir les maisons ?
Les murs des bâtiments sont à chaux et sable; les rez-de-chaussée forment l’habitation des gens et des bêtes. Les toits sont couverts en paille.
Il n’y a aucune carrière d’ardoises ni de petites lauses, ni fabriques de tuiles ; il y en a une au lieu de la Roche-des-Arnauds, éloignée d’une grande lieue, mauvais chemin, on n’en connaît pas le prix, attendu que la communauté n’en a jamais usé.
7. Quelle est en général la nature du sol ?
Le sol est montueux et penchants en trois [mains] ; l’une est cultivée de blé seigle, l’autre de grains transaux et l’autre en chaume.
8. Quels sont les différents genres de récoltes qui se perçoivent et les arbres fruitiers qui prospèrent ?
9. Quels est le rapport année commune, entre les grains et comestibles et la consommation des habitants et quelle est leur nourriture ordinaire ?
10. D’où tire t-on les grains dans les années de disettes ?
La récolte ne consiste qu’en blé, seigle et grains transaux.
Il n’y a aucun arbre produisant fruits, de quelque espèce que ce soit.
Le produit est du quatre, année commune.
Il ne se perçoit dans la communauté, lors d’une bonne récolte, que ce qui est nécessaire pour la consommation des habitants et, lorsqu’il survient quelque grêle ou gelée, il faut avoir recours aux communautés voisines.
11. Quelles sont les productions surabondantes, les marchés où elles se vendent, et les moyens d’exportations, et les foires sur les lieux ?
Il n’y a aucune production surabondante, si ce n’est que l’on vend environ quatre-vingts charges d’avoine, qui servent pour acheter le blé qui manque, et on les porte à Gap. Il n’y a aucune foire, si ce n’est à Gap et à Veynes.
12. Quel est l’état des bois et forêts et quelle est leur proportion avec les besoins ?
Il y a quelques bois et autres futaies et broussailles, seulement suffisants pour le nécessaire des habitants.
Il y a un bois de haute futaie considérable, qui appartient et se trouve possédé par MM. du Chapitre de Gap, seigneurs de Rabou.
13. La communauté a-t-elle des communes [c’est-à-dire : des biens communaux], de quelle espèce sont-elles, quelles est la minute du sol et quels sont les moyens de les rendre plus utiles ?
La communauté a quelques terres communes qui servent pour parquer le menu bétail, mais leur position ne permet pas de pouvoir les mettre en valeur.
14. Quelles sont les rivières qui traversent la communauté, la qualité du terrain, et celle des eaux ?
Il n’y [a] aucune rivière, mais beaucoup de torrents qui emportent les terres cultivées, sans pouvoir y remédier, attendu la situation du local.
Les eaux de ces torrents, qui ne se forment que par la fonte des neiges ou l’abondance des pluies, ne servent que pour arroser le bas du terrain; mais à force de travail, elles pourraient arroser une plus grande contenance de terrain qu’elles ne font.
15. Quelle est la quantité de gros et menu bétail de tout espèce ? Quels seraient les moyens d’augmenter le nombre des élèves et d’améliorer les espèces ?
Le gros bétail consiste en environ quarante bêtes à cornes, soit boeufs ou vaches, en cinq ou six petits mulets et quarante bourriques. Il y a environ cinq cent quarante bêtes, moutons ou brebis, et très souvent on est obligé d’en faire hiverner une partie hors la communauté, surtout lorsque la neige abonde.
16. Y-a-t-il dans la communauté ou à portée des artistes vétérinaires ou des maréchaux experts qui jouissent d’une réputation acquise et justifiée par des succès ?
Il n’y a aucun artiste vétérinaire ni maréchal expert, excepté dans Gap.
17. Quels sont les objets d’industrie ou de commerce des habitants, les moyens d’amélioration dont ils seraient susceptibles et les établissements en ce genre qu’on croirait utiles à la communauté et au canton ?
Il n’y a aucune industrie ni commerce dans la communauté, ni dans le cas d’en établir.
18. Quel est le régime municipal ?
La forme de l’administration est l’ancienne.
19. La communauté a-t-elle des revenus ?
La communauté n’a aucun revenu, de quelque espèce que ce soit.
20. Quelles sont les charges locales ou dépenses ordinaires de la communauté, les dettes de la communauté ou les charges extraordinaires auxquelles elle peut être tenue ?
Les charges locales ou dépenses, année commune, arrivent à environ douze cent cinquante livres2, y compris trois cent nonante livres pour l’abonnement du droit de dîme et sept cents livres pour la congrue du curé3 et vingt-six livres neuf sols pour pension due aux Dominicains de Gap.
21. Les comptes des collecteurs et receveurs ont-ils été rendus chaque année, quels sont ceux qui ne l’ont pas été et les raisons qui en ont empêché ?
Les comptes des collecteurs ont été rendus annuellement.
22. Quelles sont les propriétés ou revenus des pauvres en y comprenant le vingt-quatrième ? De quelle manière sont-ils administrés et seraient-ils susceptibles d’améliorations ?
Les revenus des pauvres ne consistent qu’en huit émines de blé seigle.
23. Y a-t-il des fondations pour les hôpitaux ou pour l’éducation publique et de quelle manière sont-elles administrées ?
Il n’y a aucune fondation pour hôpitaux ni pour l’éducation des enfants.
24. A quelles époque le dernier parcellaire a-t-il été fait, et dans quel état se trouve-t-il, ainsi que les coursiers ? Les papiers et titres de la communauté sont-ils conservés, et quelles sont les précautions prises pour leur garde ?
Il n’y a aucune date au cadastre, qui n’en est pas un, mais seulement un mémoire hors d’état4.

Notes
1. Bertaud, La Chaup, Lavis, Le Serre et, de plus, Les Prés, La Rivière.
2. Exactement pour 1789, 124 l. 9 s. (Ordonnance du 29 novembre 1788): entretien des ponts et passerelles, 15 l.; gages du garde-champêtre, 24; id. du sonneur, 12; abonnement de la dîme, 390; portion congrue du curé, 700; pension due aux Dominicains de Gap, 26 l. 9, luminaire de l’église, 50; blanchissage du linge de l’église, 9 l., etc.
– En 1790, le total est de 1226 l., 9 s. et en 1791, de 455 l. 9 seulement, les charges ecclésiastiques ayant disparu. Le maître d’école figure dans ce dernier total pour 50 l. et le garde-fruits, également pour 50 (C107, f° 81).
3. Pierre Ricard, ancien curé de Saint-Maurice-en-Valgaudemar, curé de Rabou le 25 juin 1776 (B107), encore en exercice le 1er janvier 1794 (L829-1), ex-curé le 1er octobre 1795 (L178).
4. Sur la situation des archives de Rabou en 1890, voir « Procès-verbaux du Conseil général des Hautes-Alpes », août 1891, p. 142.

Conclusion :
La communauté a un procès par devant la Cour avec MM. du Chapitre1, qui dure depuis longtemps et qui ruine la communauté, attendu que le Chapitre, par le moyen d’un garde qu’ils ont, s’agrandit dans les fonds communs, dont partie des habitants jouissaient depuis plus de trente ou quarante ans. Ce procès avait été remis à MM. les avocats qui avaient été nommés pour l’examen des affaires des communautés2, et on désirait ardemment qu’il pût se décider, pour que la communauté sût, une fois pour toutes, à quoi s’en tenir. MM. du Chapitre ne payent ni tailles ni vingtièmes, ni cas de droit, pour raison du bois précieux et terres qu’ils prétendent en dépendre. La communauté ne serait-elle pas fondée de les y soumettre?
La communauté ne connaît pas l’époque où elle a été comprise dans le péréquaire général, pour demi-feu taillable, ni aucun acte et, malgré les recherches qu’elle a faites et fait faire, il ne lui a pas été possible de rien découvrir.
Pour arriver au village, il y a le torrent du Buëch, et il y avait un pont qui s’est écroulé, en sorte que, dans le temps des fontes des neiges et de l’abondance des pluies, les habitants ne peuvent pas traverser ce torrent sans s’exposer à être noyés.
Voila, Messieurs, tout ce que nous pouvons vous dire en suite de votre lettre, de relatif à notre communauté; s’il y avait quelques autres articles sur quoi nous puissions répondre, nous le ferons.
Nous avons l’honneur d’être très respectueusement, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs.
Signé : Orcière, consul, J.-P. Marcellin-Gros, consul.

Notes

1. Le Chapitre de Gap, seigneur de Rabou et de Chaudun, au moins dès le XIIe siècle, et qui, par suite, eut de nombreux rapports d’affaires et divers procès avec la communauté de Rabou. (Voir sur ce dernier sujet les documents analysés dans l' »Invent. des Arch. des Hautes-Alpes », série G, t. V, 1904, p. 159-182; cf. le diplôme de Frédéric Barberousse du 29 septembre 1184, « Gallia Christ. novis. », I, n° XVII.)
2. « Une commission d’avocats » fut instituée à Grenoble, par l’intendant Caze de la Bove, le 25 mai 1785 pour « discuter gratuitement chaque procès, et guider les communautés dans les démarches et poursuites qu’elles auront à faire. » (Arch. de Guillestre, CC, 157)