De l’eau sur le feu (Marseille, décembre 1847)

La rue Favart fut fin 1847 le théâtre d’une bien curieuse affaire qui fit grand bruit parmi les Marseillais. Deux commerçants, dont les boutiques étaient contiguës l’une à l’autre, se livrèrent une guerre des fourneaux des plus inattendues.
D’un côté, Madame Veuve Collot, pâtissière réputée pour ses brioches, bonbons et autres confitures, tenait une boutique dont les effluves sucrés embaumaient toute la rue. À côté, Monsieur Duchesne, marchand de nouveautés, proposait une variété de produits, allant des tissus aux objets de curiosité. Si leurs commerces étaient différents, leurs ambitions étaient communes : attirer la clientèle.
Les tensions entre les deux commerçants étaient palpables depuis quelque temps. Les employés de Monsieur Duchesne se plaignaient régulièrement de la fumée qui s’infiltrait dans leur boutique, venant d’un soupirail, perturbant leur travail et irritant leurs yeux. De son côté, Madame Collot reprochait à son voisin de diffuser des rumeurs malveillantes sur la qualité de ses produits.
C’est dans ce contexte de rivalité que l’incident éclata. Une nuit, Monsieur Duchesne et ses complices crièrent au feu et lancèrent en même temps neuf seaux d’eau par le soupirail. L’eau inonda la cuisine souterraine où se confectionnaient les petits fours et les autres gourmandises. Les dégâts furent considérables : les fours étaient hors d’usage, les pâtisseries réduites en bouillie, et le sol était couvert de débris. Les artistes en pâtisserie, quant à eux, apparurent bientôt pâles, consternés, les vêtements trempés, au milieu de la foule qui, comme le marchand de nouveautés, répétaient : « Au feu ! au feu ! »
Lorsque Madame Collot découvrit l’étendue des dégâts, elle fut inconsolable. Aussitôt, elle porta plainte contre son voisin. Le tribunal, saisi de cette affaire pour le moins originale, examina les preuves et les témoignages des deux parties.
M. Duchesne se défendit, arguant que la fumée qui s’échappait du soupirail provoquait des inconvénients graves à ses marchandises et notamment à ses gilets brodés. Après délibération, le tribunal condamna Monsieur Duchesne à 100 francs de dommages-intérêts et à 20 francs d’amende.
  • Source : La Gazette du Midi, 24 janvier 1848, p. 3.

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