Il oublie son or à l’auberge (Aix-en-Provence, 2 juin 1776)

« Du 6 juin 1776, pardevant nous Maire, consuls et assesseur, lieutenants généraux de police, le sieur Pierre André Siaut, de la ville de Gignac (1) en Languedoc, négociant à Marseille, a exposé qu’étant arrivé le deux du courant à l’auberge de la Mule-Blanche au faubourg de cette ville, tenue par le sieur Abrard, hôte, on l’avait conduit dans une chambre qui, ne lui convenant pas, il en demanda une autre et, dans le temps qu’on la lui cherchait, il y fit déposer son portemanteau, et il tira de sa poche sa bourse et deux quadruples d’Espagne (2) qu’il reposa sur le lit.
L’histoire continue après l’image…

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Quelque temps après, les filles de service étant venu lui dire qu’on lui avait trouvé une autre chambre, elles y portèrent son portemanteau et lui, reprit sa bourse et oublia les deux quadruples.
Qu’il partit le lendemain pour Marseille où il s’est aperçu que les deux quadruples lui manquaient. Étant revenu le mercredi suivant à la même auberge, il demanda aux filles de service si elles n’avaient pas vu des pièces d’or dans sa chambre, que deux de ces filles lui ont répondu : « Est-ce qu’elles étaient à vous ? Oui, nous en avons vu deux en faisant le lit de la première chambre qu’on vous avait donnée, et nous avons cru qu’elles appartenaient à ce monsieur qui l’a occupée après vous. »
Et ledit Siaut leur ayant dit ce qu’elles avaient fait de ces quadruples, elles lui ont répondu : « Nous les avions mises sous le tapis de la table pour pouvoir faire le lit sur lequel elles étaient et, le lendemain, ce monsieur étant parti, nous avons regardé si elles étaient encore sous le tapis, mais nous ne les avons plus trouvées ». Et, comme il est persuadé que ces filles, l’une appelée Magdeleine Espie et l’autre Marguerite Gueinié lui détiennent ses deux quadruples, il a recours à notre justice aux fins qu’elles les lui rendent ou lui en payent la valeur d’icelles et le sieur Abrard soit condamné à la commune exécution du jugement qui interviendra comme civilement responsable du fait de ses domestiques.
Après cet exposé, nous, lieutenants généraux de police, avons ordonné à un de nos gardes d’aller avertir le sieur Abrard, hôte de la Mule-Blanche, de se trouver à l’Hôtel de Ville avec ses deux filles de service, Magdeleine Espie et Marguerite Gueinie, à midi.
Le dit sieur Abrard n’ayant pas comparu ni ses filles de service, avons renvoyé à demain sept du courant au bureau de police à onze heures du matin, à l’effet de quoi le dit Abrard et les deux filles de service seront avertis d’y comparaître.
Et ledit jour, sept du courant, à onze heures du matin, toutes les parties ayant comparu, et ouïes tant en présence les unes des autres que séparément, Magdeleine Espie a dit qu’elle et Marguerite Gueinie, allant faire, au jour indiqué dans la demande du sieur Siaut, le lit de la chambre qui lui avait été donnée à son arrivée dans l’auberge, et qu’occupait un autre étranger arrivé le même jour, elles trouvèrent sur le lit d’icelle deux pièces d’or assez grosses qu’elles mirent sous le tapis de la table, de manière pourtant que les dites pièces se voyaient, attendu que le tapis est fort étroit, n’ayant pas voulu prendre les dites pièces, attendu qu’elles crurent que le dit étranger, occupant la chambre, avait voulu les éprouver, qu’il est vrai qu’elles n’avertirent ni le maître de l’auberge, ni le sieur Siaut, ni l’autre étranger et que, le lendemain matin, lorsqu’ils furent partis l’un et l’autre, elles voulurent voir si les deux pièces d’or étaient encore sous le tapis de la table et que, ne les y ayant plus trouvées, elles présumèrent que l’étranger qui avait occupé la dite chambre les avait emportées.
Marguerite Gueinie a dit la même chose, si ce n’est qu’elle a dit que, après avoir trouvé avec sa camarade les deux pièces d’or, elles les mirent tout à fait sous le tapis de la dite table, et qu’elle ne croit point qu’elles parussent mais que, attendu que la tapis était fort mince et que les deux pièces d’or étaient une sur l’autre, il était très facile, en mettant la main sur la dite table de sentir qu’il y avait quelque chose entre deux.
Le sieur Gaspard Abrard, hôte de l’auberge de la Mule-Blanche, a dit qu’il connaît la probité de ses domestiques pour avoir éprouvé les dites Magdeleine Espie et Marguerite Gueinie en plusieurs occasions, qu’il est assuré qu’elles n’ont point gardé les deux pièces d’or et que, à tout événement, il ne peut en être déclaré responsable.
Le bureau a renvoyé au lendemain et, le dit jour onze du courant mois de juin, les parties ayant de nouveau comparu, le sieur Siaut, par le ministère de sieur Honoré Peisse, orfèvre de cette ville, son beau-frère, la cause a été renvoyée au lendemain, communication faite du verbal ci-dessus au procureur du roi.
Du douze juin mille sept cent soixante-seize, le bureau de police assemblé, présents MM. Barlet, de Puget et Gallicy, consuls et assesseur, l[ieutenant] g[énéral] d[e] p[olice],
Nous, Maire, consuls et assesseur de cette ville d’Aix, l[ieutenant] g[énéral] de police, ouï le procureur du roi, faisant droit à la demande du sieur André Siaut, avons condamné et condamnons les dites Magdeleine Espie et Marguerite Gueinie à lui payer la valeur de deux quadruples d’Espagne, à raison de septante huit livres la pièce, suivant l’appréciation qui en sera faite par experts convenus, autrement par nous nommés d’office, et aux dépens ; et condamnons le sieur Abrard, hôte de la Mule-Blanche, à la commune exécutions de notre jugement comme civilement responsable du fait de ses domestiques, sauf son recours contre les dites Magdeleine Espie et Marguerite Gueinie, et ordonnons que notre sentence sera exécutée nonobstant oppositions et appellation quelconque et sans y préjudicier en donnant par le sieur Siaut bonne et suffisante caution.
Fait à Aix au bureau de police le douze juin 1776.
[SIGNATURES]
  • 1. Gignac, dans l’Hérault.
  • 2. Un « quadruple » était un double pistole d’Espagne. Le pistole était la monnaie espagnole.
Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, FF95.

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