- Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, I1-48
Ce jourd’huy, sept juillet mil huit cent onze, le 7e de l’Empire, nous, commissaire de police de l’arrondissement d’Aix, instruit par la voix publique que, depuis le quatre du courant, Louis Antoine Boyer, marchand de cordes de violon, domicilié dans cette ville, isle 63, n° 2, avait quitté sa maison et que sa disparition avait jeté l’alarme soit dans sa famille soit parmi ses amis.
À cet avis, nous nous sommes portés de suite au domicile dudit Boyer pour nous assurer si le bruit qu’on répandait sur son compte était vrai et, y arrivés, avons trouvé son épouse1 fondant en larmes, à laquelle nous avons demandé s’il est effectivement vrai que le sieur Boyer, son mari, ait quitté sa maison et depuis quelle époque. Ladite a répondu qu’il est bien vrai que Louis Antoine Boyer, son mari, est sorti de sa maison le quatre du courant à quatre heures et demie du matain pour aller prendre un bain aux bains publics, sis dans la maison de M. de la Baume, n’étant muni d’autre chose que d’une serviette.
À elle demandé la raison pourquoi elle n’a pas plus tôt prévenu de sa fuite l’autorité de la police, ladite a répondu que son mari n’ayant jamais fait de pareille disparition, elle croyait le voir arriver tous les moments, mais que ses espérances sont bien trompées, car voilà trois jours écoulés sans qu’elle ne l’aye revu, ni reçu aucune de ses nouvelles.
Avons de plus demandé à l’épouse du sieur Boyer si son mari ne lui aurait jamais manifesté l’intention de s’éloigner de son ménage et quels pouvaient être les motifs de sa fuite. Ladite, satisfaisant à notre demande, nous a dit que Louis Boyer était depuis quelque tems atteint de la maladie des vapeurs, et que des bains lui avaient été ordonnés, qu’il allait les prendre régulièrement tous les matains, qu’elle n’avait jamais connu dans lui le dessain de quitter sa famille mais que, cependant, elle eut quelque méfiance quand son mari lui dit qu’il voulait faire deux chambres, et qu’elle n’a jamais pu connaître des motifs assez légitimes pour l’obliger à fuir. Elle nous a de plus déclaré que, depuis le désir que lui avait manifesté son dit mari de ne plus vouloir coucher avec elle, ses craintes et ses sollicitudes l’avaient mise dans un état de ne presque plus le perdre de vue mais que, malgré ses soins et sa vigilance, il était parvenu à sortir ce matain de la maison avant son heure accoutumée.
A elle demandé si, depuis le quatre courant, elle n’a mis personne à sa [re]cherche, la dite a répondu avoir employé plus de vingt personnes à sa recherche, tant à la ville qu’à la campagne, et même sur les routes et que, jusques à aujourd’huy, ses recherches avaient été infructueuses et qu’elle craignait que les vapeurs n’eussent fait des progrès sur son mari à un tel point qu’elle craignait pour ses jours.
D’après les diverses interpellations et déclarations, avons de notre côté fait toutes les recherches possibles, soit à la ville, soit à la campagne, pour parvenir à la découverte dudit Boyer, mais elles ont été également infructueuses. De tout ce que dessus, avons dressé le présent procès-verbal pour y avoir recours au besoin, et avons signé.
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Ce jourd’huy, douze juillet mil huit cent onze, le 7e de l’Empire, à une heure de relevée2, nous commissaire de police de l’arrondissement d’Aix disons que le sieur Aubert, nég[ocian]t près la porte Orbitelle3, s’est présenté pard[evan]t nous et dans notre bureau, et nous a déclaré qu’un locataire de sa maison isle 63 n°8 avait aperçu à la faveur d’un trou qui donne dans l’escalier de sa cave un chapeau et un linge blanc, qu’ayant ouvert la porte de ladite cave, il avait par lui-même également aperçu un chapeau et une serviette et que, d’après le bruit qu’il court de la disparition de Boyer, son voisin, depuis sept à huit jours, il craignait que cette serviette et ce chapeau ne pussent lui appartenir, s’empressant de nous en donner connaissance.
Sur cet exposé, nous nous sommes rendus sur les lieux où, étant, le sieur Aubert nous a ouvert la porte de la cave et avons aperçu un chapeau et une serviette que nous avons examinés et reconnu que la serviette portait la marque L. B., ce qui nous a fait présumer que c’était là la serviette et le chapeau du sieur Boyer. Pour nous en convaincre, nous nous sommes portés à la maison du sieur Boyer, isle 63 n°2, pour faire reconnaître à la famille si c’était bien le chapeau ordinaire que leur père portait, tout comme aussi si cette marque placée à la serviette, quoique un peu effacée, et que nous lui présentions, était bien celle de sa famille. Ses deux filles tout éplorées nous ont déclaré que le chapeau était celui de leur père et que la serviette lui appartenait, ayant reconnu la marque qu’elle portait.
D’après cet aveu, nous nous sommes décidés à faire une fouille dans l’intérieur du puy de la maison du sieur Aubert qui se trouve à côté de la porte de la cave où le chapeau et la serviette étaient déposés. A la suite de cette fouille, et après avoir fait égoutter le puy vers les sept heures et demie du soir, avons aperçu un cadavre que nous avons fait retirer dudit puy, que le cadavre déposé à terre au vu de tout le monde a été par nous reconnu ainsi que par le public pour être celui de Louis Antoine Boyer, fabricant de cordes de violon, le même qui avait disparu du sein de sa famille le quatre du courant.
Il était vêtu d’une veste de drap de sirezie [?] gris mélangé, d’un pantalon de velours couleur olive, d’un gilet rayé rose et blanc, d’une paire [de] bas gris, les souliers blancs, une chemise de toile, ayant à travers de son corps et à la c[e]inture un bandage, M. Saint-Étienne, docteur en chirurgie par nous requis d’assister à nos opérations, a procédé en notre présence et sur les lieux à la visite et examen du cadavre que nous lui présentons, et a constaté dans un rapport l’état de la mort dudit Boyer, à quoi il a satisfait, déclarant le joindre au présent procès-verbal, déclarant aussi avoir trouvé dans les poches du vêtement du cadavre un bonnet de coton simple, un mouchoir rouge et blanc quadrillé, marqué L. B., une petite bourse en maroquin rouge auquel est attaché un médaillon orné d’un cercle en cuivre doré, renfermant en numéraire la somme d’un franc quarante cinq centimes en deux pièces de cinquante centimes et quarante-cinq centimes en monoye.
Toutes nos opérations terminées sur les lieux, avons fait transporter ledit cadavre à l’hospice et nous nous sommes retirés dans notre bureau où, étant, avons sur le champ averti M. le maire4, officier public, pour qu’il ordonne l’inhumation du corps dudit Louis Antoine Boyer, lui déclarant que rien ne s’opposait à ce que ledit cadavre fût inhumé suivant les formes ordinaires, déclarant enfin que le chapeau, la serviette, ainsi que tous les effets trouvés sur le cadavre, sont déposés dans notre bureau pour être remis à qui il appartiendra. De tout ce que dessus, avons dressé le présent procès-verbal pour être par nous envoyé à M. le procureur impérial près le tribunal de première instance du deuxième arrondissement, et qu’une seconde expédition serait par nous envoyée à monsieur le maire, et avons signé.
Signé Lantelme, commissaire de police, à l’original.
Pour extrait conforme à l’original par nous envoyé à M. le procureur impérial près le tribunal de première instance du deuxième arrondissement.
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Aix, le 15 juillet 1811,
Les commissaires de police de la ville d’Aix,
à Monsieur le Maire
À Aix.
Vous recevez sous ce ply, Monsieur le maire, notre procès-verbal d’audit à la maison du sieur Aubert, nég[ocian]t, rue Orbitelle, relatif à la trouvaille que nous avons faite du cadavre de Louis Antoine Boyer, noyé dans le puy de la dite maison. Vous verrez par le contenu du dit procès-verbal toutes les circonstances qui ont précédé et suivi ce malheureux événement.
J’ai l’honneur de vous saluer
[LANTELME]
Acte de décès de Louis Antoine Boyer
Notes
1. Marie Magdeleine Ravel.
2. Une heure de l’après-midi.
3. La porte d’Orbitelle se trouvait à l’intersection de l’actuelle rue du Quatre-Septembre et du boulevard du Roi-René. La scène se situe donc en plein quartier Mazarin.
4. Jean Baptiste Paul Gras, maire d’Aix-en-Provence du 11 août 1811 au 4 mai 1815.