Que faire du corps de la dame Mouriès ? (Aix-en-Provence, 20 août 1810)

  • Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, I1-48

Aix, le 21 août 1810

Le juge de paix du premier arrondissement (Nord) du canton d’Aix, officier de police judiciaire,
A Monsieur le Maire de la ville d’Aix.

L’événement arrivé hier, Monsieur, dans un lieu public, à la dame Mouriès-Roubaud, aurait dû, ce me semble, valoir à cette malheureuse dame des soins qui, dans des cas pareils, doivent être donnés jusqu’à la prodigalité, pour rappeler à la vie l’individu frappé d’accident. Le lieu même où cet événement arriva étant destiné à donné des soins aux malades, comment se fait-il que la dame Roubaud a été transportée à neuf heures chez le sieur Coste, c’est-à-dire une heure et quart au plus après son accident, roulée dans un matelas de manière à faire évanouir tout espoir de la rappeler à la vie et sans aucune des précautions qu’exige la décence publique.
Votre lettre, Monsieur, m’apprend que c’est par votre ordre que la dame Roubaud fut transportée chez le sieur Coste, mais vos ordres n’ont certainement pas été ponctuellement exécutés. La précipitation et l’indécence de ce transmarchement dans un moment où il n’était pas bien décidé qu’on ne pût rappeler la dame Roubaud à la vie et qu’on aurait dû employer plutôt à lui donner des soins qu’à la déplacer, me prouve que vos ordres à cet égard n’ont pas été ponctuellement exécutés.
Au surplus, je me trouvai hier sur le cours (2) au moment où la rumeur publique répandait l’arrivée d’un cadavre chez le sieur Coste, mon devoir m’appelait chez ce dernier. J’y fus et me fis conduire dans un appartement au troisième étage où je trouvai la dame Roubaud, gisant à terre sur la même échelle qui lui avait servit de brancard. A l’instant, j’appelai un docteur en chirurgie. Je fis délier la prétendue défunte. Je la fis visiter et l’officier de santé trouvant en elle encore beaucoup de chaleur naturelle me témoigna que cette femme était susceptible de recevoir des soins qu’il était instant de lui donner et notamment qu’il était urgent de lui ouvrir la veine. Je la fis placer sur un lit et couvrir de manière à maintenir et à augmenter même la chaleur qu’elle avait encore. J’engageai l’officier de santé à faire le plus tôt possible ce que son art lui prescrivait, ce qui fut exécuté en ma présence. J’ai ensuite moi-même préposé une femme à la garde du corps avec ordre d’observer s’il donnerait quelque signe de vie. J’ai engagé l’officier de santé à le revoir plusieurs fois dans la matinée.
Ainsi, Monsieur, vous voyez qu’il n’est pas bien certain que la dame Roubaud fût morte lorsqu’on l’a transportée. Il est encore plus incertain qu’elle soit morte d’une apoplexie, l’officier qui a fait sous mes yeux la visite du corps et qui l’a secourue pendant assez longtemps et à diverses reprises n’a pas pu déterminer encore le genre de mort. Cette incertitude seule nécessiterait l’ouverture du corps ; je l’ai ordonnée. Je ne dois compte à personne, surtout pendant que mes opérations ne sont point terminées, des motifs ni des circonstances qui ont fait surgir mon ordonnance.
Vous répugnez, Monsieur, à ce que cette opération se fasse dans l’amphithéâtre de l’hôpital. C’est la première fois qu’on éprouve de la contrariété en pareille circonstance. Jusques à ce jour, l’administration des hospices s’était faite un devoir de fournir un local qu’elle a propre à ces sortes d’opérations et de faciliter ainsi de la justice les moyens de s’éclairer.
Je n’insisterai pas pour faire cette ouverture de cadavre à l’hospice, mais la chose publique n’en souffrira pas pour cela. Je saurai, si vous insistez, me procurer un autre local.

J’ai l’honneur de vous saluer.

[BOUTEILLE]

***

Le juge de paix du premier arrondissement (Nord), canton d’Aix, département des Bouches-du-Rhône.
A messieurs les administrateurs de l’hospice Saint-Jacques.

Messieurs,
La dame Marie Catherine Mouriès de la ville de Marseille, veuve en premières noces de Sylvestre Remondin, et épouse en secondes noces du sieur Noël Roubaud, bourgeois de la dite ville et y résidant dans la grande rue, est morte subitement ce matin aux bains de Sextius. Cette mort inopinée exigeant qu’il soit procédé à l’ouverture du corps de la défunte, je vous invite à la faire déposer dans un lit et à l’y faire tenir aussi chaudement que possible jusques à demain huit heures du matin, après lequel temps, attendu l’expiration des vingt-quatre heures, il sera procédé par le sieur Arnaud, docteur chirurgien, à l’ouverture du cadavre.
J’aurai soin de vous faire parvenir ultérieurement les ordres nécessaires pour son inhumation.

J’ai l’honneur de vous saluer.

[BOUTEILLE]

***

Suit à présent une lettre de deux pages sans intitulé et dont il manque visiblement le début.

… Une personne inconnue à Monsieur le Juge de paix se présente à lui ce matin au café de Cassaty et lui annonce qu’une dame étrangère à cette ville vient de mourir subitement dans les bains de Sextius et qu’on l’a déposée dans l’auberge du sieur Coste.
Sur ce, M. le Juge de paix se rend dans cette auberge, accompagné de M. Arnaud, docteur en chirurgie, qu’il trouve en route et demande en entrant si aucun officier de police ne s’est présenté. On lui répond qu’il vient d’être transporté dans cette auberge le cadavre d’une femme, d’ordre de M. Miliard, commissaire de police, et que le cadavre est déposé dans une chambre qu’on lui indique.
Le juge de paix monte dans cette chambre, trouve le cadavre sur le plancher sans aucun surveillant. M. Arnaud le touche, lui trouve de la chaleur. Contre l’intention de M. Coste, on le place dans un lit. M. Arnaud lui tire du sang (car faut-il bien qu’il fit quelque chose) et déclare qu’il est sans vie.
M. le juge de paix propose de faire l’ouverture de ce cadavre, Coste demande à genoux que cette ouverture ne se fasse pas dans sa maison, M. Arnaud déclare que cette ouverture se fera plus commodément à l’hôpital. M. le Juge de paix accède à l’intéressée et inhumaine réclamation de Coste, et le corps est ensuite transporté à l’hospice sans appeler M. Reynaud, médecin nommé par le gouvernement pour le service des bains qui a assisté à la mort de cette femme et sans demander la raison pourquoi un commissaire de police s’était occupé de faire transporter ce corps à l’auberge du sieur Coste.


1. Jean Baptiste Boniface de Fortis, maire d’Aix-en-Provence du 20 novembre 1809 au 11 août 1811.
2. Le cours Mirabeau.

Laisser un commentaire