La petite enfance dans la Provence d’hier

Petit enfant en Provence (1932). © Marcel Arduin.
Petit enfant en Provence (1932). © Marcel Arduin.
Quiconque s’intéresse aux registres de baptêmes et de sépultures et aux registres d’État civil des siècles passés a tôt fait de remarquer que l’espérance de vie moyenne de nos ancêtres était particulièrement basse. S’il est vrai que l’homme de petite condition vivait nettement moins longtemps que nous aujourd’hui, il n’est pas moins vrai que, pour une bonne part, la moyenne de l’espérance de vie devait sa faiblesse à l’effroyable mortalité infantile qui ravageait la jeunesse française. Un nouveau-né n’avait qu’environ 80 % de chance d’atteindre l’âge de deux ans et à peine plus de 60 % de chance de devenir adolescent.
Si la médecine était loin de bénéficier des avancées de ces dernières années, il convient aussi d’avancer d’autres raisons à cet état de fait. On ne surprendra personne en affirmant que les nouveau-nés d’autrefois n’étaient pas entourés des mêmes soins qu’aujourd’hui. La mère étant, comme le père, affairée aux travaux des champs toute la journée, elle ne pouvait guère s’occuper de son enfant qu’à midi et dans la soirée. Dans l’intervalle, si celui-ci pleurait, peu l’entendaient ni ne s’en souciaient. Allongé dans un drap tendu entre deux arbres non loin de ses parents, le bébé pouvait crier ou se salir, on ne se déplaçait pas pour si peu.
Cette attention étant moins soutenue que de nos jours, le début d’une maladie infantile passait souvent inaperçu, et il était souvent bien tard lorsque le docteur arrivait à la bastide des parents.
L’importance de la mortalité infantile obligeait la communauté à s’organiser en aménageant un carré du cimetière spécialement réservé aux jeunes enfants. C’est là qu’on enterrait les pauvres bébés qui n’avaient pas atteint leur deuxième anniversaire.
Il est bien entendu qu’un bébé né dans un milieu favorisé avait plus de chances de survivre. De même pour les enfants mal formés ou débiles, voués à une mort quasi-certaine, si leurs parents étaient pauvres. La proportion d’enfants souffrant d’une tare était plus importante que de nos jours, car les conditions de l’accouchement étaient souvent plus mauvaises et pâtissaient d’un certain manque d’hygiène.

Le sevrage

Diverses coutumes concernant le sevrage étaient en usage en Provence. Dans le sud des Alpes-de-Haute-Provence, par exemple, on ne sevrait jamais un enfant un vendredi sous peine de lui porter malheur.
Lorsque le temps du sevrage arrivait (parfois après le seizième mois du bébé), on envoyait quelque temps l’enfant dans une autre famille afin de le séparer de sa mère. Le résultat était apparemment satisfaisant.
Bien entendu, les moyens d’antan n’étant pas ceux d’aujourd’hui, toutes les mères étaient contraintes d’allaiter leurs enfants. Si une mère ne le pouvait, elle plaçait son nouveau-né chez une nourrice. La plupart des personnes qui, aujourd’hui, se livrent à des relevés de décès, ont dû tomber sur des actes attestant de la mort d’un enfant chez sa nourrice. Cela montre que la placement semblait relativement répandu.
Lorsque l’enfant était sevré, et comme la mère avait encore quelques montées de lait, on faisait appel à un professionnel qui a complètement disparu aujourd’hui: le tétaïre. Ce brave homme avait pour tâche de téter les femmes, soit parce qu’elles n’avaient pas de bouts de seins, pour les leur faire, soit que la montée du lait se faisait mal, soit qu’elles avaient trop de lait. Cette profession est attestée jusqu’en 1930 au moins. En période de sevrage, le tétaïre avait pour tâche de tirer le lait superflu. Pour les femmes qui ne voulaient avoir à faire au tétaïre, la revue Basses-Alpes (1943, no 183) proposait une autre solution :
« Quant à la mère, gênée par la montée du lait qui se prolongeait, elle se faisait téter, temps passé, par un petit chien, voire même par une autre personne qualifiée, pour aspirer le lait. »

Le début de la vie

On attendait avec impatience le premier mot de l’enfant. En effet, dans l’ensemble de la Provence, on pensait que ce mot déterminerait le sexe du prochain venu dans la famille. En général, si c’était « papa », ce serait un garçon, et « maman », une fille.
La première dent était aussi un événement familial. Elle était pour l’enfant l’occasion de recevoir un cadeau de son parrain ou de sa marraine. De même lorsque la première dent tombait, l’enfant recevait de l’argent de ses parrain et marraine (10 francs chacun, à Maillane) Si l’enfant avait eu une nourrice, le père offrait à celle-ci une robe lorsque l’enfant faisait sa première dent. À Manosque, le père offre un bijou à sa femme. À Saint-Cannat (Bouches-du-Rhône), les mères n’attendaient pas la première dent avec impatience. C’est le moment où elles allaient commencer à grossir !
À la chute de la première dent, les habitants de Vaucluse recommandaient de la mettre dans le trou d’un mur : Mete ta dènt dins un trau de muraio, acò te fara trouva un bèu coutèu.
Arlésienne au XIXe siècle.
Arlésienne au XIXe siècle.
Voici maintenant le moment où l’enfant commence à ronger ses ongles. Surtout ne le laissez pas faire, il deviendrait fou ! Mais à Banon, on pensait que les ongles longs protégeaient des maladies, tandis qu’à Montfuron, ils empêchaient l’enfant de devenir voleur. À Cabasse (Var), la première taille des ongles se faisait toujours sous un rosier afin que l’enfant ait plus tard une belle voix. À Méthamis, on ne coupait jamais les ongles le mercredi et encore moins le vendredi, le mieux étant de le faire le lundi. Dans le même ordre d’idée, on ne devait pas se couper les ongles au coin du feu ni jeter les morceaux dans les flammes.

Les premiers pas

Laisser l’enfant faire ses premiers pas devait répondre à tout un rituel. Tout d’abord la date devait être choisie soigneusement: c’était nécessairement à l’église, un 19 mars, devant un autel de saint Joseph, ou un 2 février devant un autel de la Vierge, tout en lisant les Évangiles. L’enfant vouait clairement ses pas à Dieu. L’expression provençale “douna li pèd” (« donner les pieds »), dans le sens de délivrer un enfant de son maillot pour le faire marcher, correspond à ce moment. La lecture des Évangiles lors des premiers pas d’un enfant explique par ailleurs l’expression “Auriéu besoun de me faire dire lis evangèli” (« J’aurais besoin de me faire lire les Évangiles ») que disaient les vieillards peu assurés sur leurs jambes.
Cette fois encore, quand l’enfant faisait ses premiers pas, la marraine était sollicitée pour lui acheter des robes, comme les portaient les enfants, garçons ou filles. Le pichot cessait d’être un bébé, il devenait un enfant…
Sant Jan ti creissè (« Que saint Jean te fasse grandir »).

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