Mademoiselle Chaix est-elle bien honnête ? (Aix-en-Provence, 10 mai 1873)

  • Sources : Archives municipales d’Aix-en-Provence, I1-15 n°263.

10 mai 1873

L’an mil huit cent, etc.
vieille-femme-menzelNous, Étienne Delignac, commissaire central, etc.
Rapportons que le jeudi 8 du courant, à une heure et demie de l’après-midi, MM. Sylvestre, inspecteur des eaux de la ville, Hay, inspecteur des travaux de la ville, Bonnaud frères, employés aux dits travaux, et Sève, inspecteur de police nous suppléant (un transport de corps nous ayant appelé à la campagne en ce moment-là) se sont rendus à la propriété de la demoiselle Chaix Thérèse, âgé de 60 ans, à l’ancien jardin des Capucins, mais domiciliée rue Droite Notre-Dame, n°18, où les déclarations relatées dans la déclaration suivante ont été opérées.
M. Sylvestre déclare :

« Nous avons invité la demoiselle Chaix à nous faire connaître par quel procédé elle est parvenue à alimenter son puits au moyen des eaux de l’aqueduc.
« Mlle Chaix a répondu n’avoir rien fait pour détourner à son profit les eaux de la ville, qu’elle s’est bornée seulement à construire une sorte d’ouïde1 au petit aqueduc pour garantir son terrain des suintements de l’aqueduc et aussi des eaux qui viennent des terrains supérieurs en passant sous la maçonnerie de l’aqueduc. Elle a ajouté que, pour assécher plus complètement son terrain, elle a cru devoir écouler les eaux de l’ouïde dans son puits.
« Nous avons invité la demoiselle Chaix à nous indiquer d’une manière précise les dispositions des ouvrages par elle construits et à nous désigner exactement les points où les eaux sortent de l’aqueduc des Pinchinats pour pénétrer dans l’ouïde. A ces questions, la demoiselle Chaix a répondu qu’elle ignorait complètement ce qui se passe dans son ouïde dont la construction remonte à plusieurs années. Alors, après avoir conféré avec les personnes qui nous assistaient, nous avons donné l’ordre de faire une tranchée au pied de l’aqueduc de la ville. Par cette opération, l’ouïde a été mise à découvert et nous avons constaté ce qui suit:
« Le revers qui forme paroi de l’aqueduc de la ville et contre lequel s’appuie l’ouïde en question est en assez bon état, bien que le mortier en soit très médiocre et se désagrège facilement avec les doigts. Ce mur suinte l’eau sur plusieurs points. Sa fondation étant au même [niveau] que le plafond de l’ouïde, celle-ci reçoit les suintements de l’aqueduc et les eaux des terrains supérieurs qui passent par infiltration sous les maçonneries de l’aqueduc. Ces eaux, d’ailleurs peu abondantes, ne sauraient constituer à elles seules un défaut suffisant pour être employées avec utilité.
« En poursuivant nos recherches, nous avons découvert près de l’extrémité ouest de l’ouïde une fuite d’eau d’un demi-denier environ entre deux pierres de la paroi de l’aqueduc. Le vide entre ces deux pierres a 12 à 15 centimètres de profondeur, 2 à 3 centimètres de largeur et 10 centimètres environ de hauteur. Nous avons sondé cette cavité dans tous les sens à l’aide d’un fil de fer, sans pouvoir découvrir la direction du vide donnant passage à l’eau, ce qui ne permet pas de croire que le mur ait été percé à dessein.
« À notre avis, il paraît probable que la fuite en question s’est fait jour naturellement à travers le mortier très médiocre de la maçonnerie de l’aqueduc qui se trouvait à surface du mur. »

De cette déclaration et de celle des autres personnes présentes, il résulte que la fraude volontaire n’est pas établie et qu’il n’y a point lieu de poursuivre pour ce fait la demoiselle Chaix.
En foi de quoi, nous avons rédigé le présent procès-verbal que nous adressons à M. le Maire de la ville d’Aix.

 


1. L’emploi de ce terme est typiquement provençal (on dit « oïde » en français). L’oïde est un conduit, un canal couvert, destiné à recueillir les eaux.

Illustration : Vieille femme, par Adolph von Menzel, papier 27,3 x 11,5 cm, 1887.

Faits divers d’Aix-en-Provence