Mort au château d’If (Marseille, 4 mars 1877)

Adolphe Roustan s’était marié le 14 août 1875 mais, peu après les noces, il vit Maria sa femme le quitter à cause des mauvais traitements qu’il lui faisait subir.
Celle-ci dut trouver une solution pour subvenir à ses besoins car elle n’avait plus de ressources. Aussi se plaça-t-elle comme domestique à Alger. Au bout d’un an, elle reçut une lettre de son mari qui lui disait que, étant marin de son état, il était rentré du Sénégal jusqu’à Marseille et l’assurait qu’il avait « changé de la nuit au jour » et désirait donc reprendre la vie commune.
Sa femme hésita un moment mais se décida finalement à rentrer à Marseille auprès de son mari. Mais quelle vie retrouva-t-elle !
Elle vivait non seulement avec un mari violent mais aussi avec une belle-mère qui l’injuriait et incitait sans cesse son fils à la battre. L’état de cette pauvre femme en était arrivé qu’elle n’osait plus manger dans la maison de son mari ni rester seule avec sa belle-mère ou sa belle-sœur. L’existence du couple était peu à peu devenue insupportable pour l’un comme pour l’autre.
Château d'If. DR.
Château d’If. DR.

Disparition de Maria Roustan

Le matin du dimanche 4 mars 1877, Roustan et sa femme quittèrent le port de Marseille pour aller pêcher, comme il le dit à Maria ce jour-là. À une heure de l’après-midi, la barque des époux voulut accoster à proximité du hameau de Saint-Estève, sur l’île du Frioul, mais un employé le leur défendit. Aussi se rendirent-ils au château d’If où ils déjeunèrent.
Vous devinez la suite ? Vers huit heures du soir, Roustan rentra au port… seul ! Il donna bien quelques explications, mais elles semblaient toutes se contredire et étaient trop extravagantes pour être crédibles.
À sa mère il raconta que sa femme et lui s’étaient étendus au soleil derrière un petit monticule et avaient dormi jusqu’à 16h30 puis qu’ils avaient gagné le rivage en contournant le monticule, l’un par la droite, l’autre par la gauche. Arrivé au bateau, Roustan n’avait pas vu sa femme revenir. Aussi, sans trop s’inquiéter de ce qu’elle était devenue, il avait embarqué seul et était rentré.
À sa sœur, il fit un récit un peu différent. C’est le même récit qu’il fit plus tard au commissaire de police et au juge d’instruction, puisque, évidemment, l’affaire fut jugée. Il leur raconta que, après s’être étendus au soleil, il avait dit à sa femme d’aller tout préparer pour le départ. Peu après, il était allé voir ce qu’elle faisait et ne la trouva plus. Et il rentra seul…
Le père de Maria Roustan, M. Ginet, ayant appris la disparition de sa fille, se rendit, en compagnie d’un ami, Vinay, sur l’île où, selon Roustan, elle avait disparu. Roustan leur avait donné rendez-vous mais il ne vint pas à l’heure dite, sous prétexte qu’il était occupé à faire sa déclaration au commissariat de police. Il la fit en effet mais il fut en même temps mis en état d’arrestation car ses explications étaient trop grosses pour être crues.

Découverte du cadavre

Le 26 mars, on trouva le cadavre de la pauvre Maria Roustan, poussé par les vagues à « Vousu, quartier de Molon ». Ce site, peu clair, pourrait être La Vesse, près de Niolon, commune du Rove, situé de l’autre côté de la rade de Marseille.
Le 6 avril, ce furent les vêtements et les lambeaux de sa robe que l’on découvrit et que ses parents et son mari même reconnurent.
Le corps tuméfié avait fait l’objet d’une autopsie de la part des docteurs Raimbaud et Michel. Il en était résulté que la mort de l’épouse de Roustan avait été causée peu après le repas car l’estomac contenait des aliments qui n’avaient pas encore été digérés. De plus, Maria Roustan était de toute évidence morte de noyade.
La question de l’estomac contredisait les déclarations de Roustan qui prétendait qu’il avait perdu sa femme quelques heures après le repas.
De plus, les médecins avaient constaté la présence d’une large ecchymose violacée et une « plaie horizontale avec des bords irréguliers légèrement écartés et d’une coloration plus accentuée » sur la tête de la victime. Cette blessure avait visiblement été causée par un coup donné alors que Mme Roustan était encore vivante.
Les suppositions de la police, étayées par les conclusions des médecins, étaient donc les suivantes :
Peu après avoir quitté le château d’If, Roustan avait donné un coup de rame sur la tête de sa femme, coup qui avait provoqué l’ecchymose. Étourdie, Maria Roustan était tombée la face en avant sur le bord de la barque, ce qui avait causé la lésion de l’os frontal.
Maria évanouie, il était aisé pour Roustan de la jeter à la mer. Il apparaît évident qu’au vu des relations tendues dans le couple, ajoutées au rôle de la belle-mère qui poussait sans cesse son fils au crime, le mobile était tout trouvé.
Aussi Roustan fut-il inculpé du crime de meurtre que sanctionnait par la mort les articles 295 et 304 du Code pénal.

Procès d’Adolphe Roustan

Château d'If. DR.
Château d’If. DR.
Il fut donc jugé en août 1877. Voici une partie de son interrogatoire par le juge.
Roustan : « Je suis allé d’abord chez un de mes amis le prier de me prêter son bateau. Ma femme suivit. Je voulais aller à la Madrague. C’est ma femme qui voulut aller au château d’If. Nous avons déjeuné à midi, puis nous sommes allés à l’abri du vent et nous nous sommes reposés. »
Président : « Expliquez comment vous êtes revenu sans votre femme. »
Roustan : « Je l’ai laissée en train de prendre des arapèdes et je suis allé en prendre d’un autre côté. En revenant, je n’ai plus trouvé personne. J’ai cherché partout et rien n’y a fait. Alors j’ai pensé qu’elle avait pris un bateau et qu’elle était revenue en ville. »
Président : « Cela n’est pas naturel, et puis vous êtes inconséquent. Depuis votre arrestation, vous n’avez jamais dit la même chose. »
Roustan : « Je dis la vérité. »
Il désigna ensuite sur une carte l’endroit où il se trouvait et où se trouvait sa femme.
Président : « Que pensez-vous que soit devenue votre femme, puisqu’on n’a pas pu retrouver son corps ? »
Roustan : « Je ne sais pas. »
Président : « Pourquoi n’êtes-vous pas allé au Lazaret[ref]Le Lazaret désigne l’hôpital des îles du Frioul.[/ref] chercher votre femme ? »
Roustan : « Je croyais qu’elle était revenue à Marseille. »
Roustan poursuivit sur son système de défense durant tout son interrogatoire. Pour lui, sa femme était mauvaise et fantasque et il n’était guère étonné qu’elle ait pu lui fausser compagnie.
On procéda ensuite à l’interrogatoire des témoins, au nombre desquels figuraient le père et la sœur de Maria Roustan qui contredirent énergiquement les affirmations de l’accusé.
Adolphe Roustan fut finalement reconnu responsable de la mort de sa femme mais, le jury ayant écarté la préméditation et admis en sa faveur des circonstances atténuantes, il fut condamné à six ans de prison.
  • D’après La Lanterne, 18 août 1877

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