L’an mil huit cent, etc.
Par devant nous Hivert Pierre Antoine, commissaire de police de la ville d’Aix, etc.
A été amenée la nommée Barnier Hélène, âgée de 20 ans, née au Thor (Vaucluse), fille de François et de Cécile Pape, ouvrière à la fabrique d’allumettes, domiciliée rue Suffren n°8, à Aix, qui venait de jeter une petite cruche de vitriol sur la figure du sieur Leydet Gaspard, âgé de 27 ans, charretier, demeurant rue du Puits-Neuf n°38, à Aix, son amant, laquelle à répondu ce qui suit :
« Depuis plus de cinq ans, et je n’avais pas encore quinze ans, je suis la maîtresse de Leydet, et il payait ma chambre. J’ai eu deux enfants de lui ; le premier est mort et le dernier qui est âgé de six mois est en nourrice à Marseille, aux Crottes, chez une nommée Marie Barre. Il me promettait toujours le mariage lorsque, après mes dernières couches, il cessa toutes relations avec moi, tout en continuant de payer les mois de nourrice de l’enfant. J’ai eu la certitude depuis qu’il devait se marier avec une demoiselle Rossignol Marie. Le désespoir s’est emparé de moi et j’ai voulu me venger en l’empêchant de se marier, en le rendant aveugle.
J’ai acheté à cet effet, il y a quelques jours, pour 50 centimes de vitriol et aujourd’hui, le sachant au café de l’Europe, sur la place des Prêcheurs, je l’ai attendu à sa sortie, et je lui ai jeté à la figure le vitriol que je possédais dans une petite cruche. Je ne regrette pas ce que j’ai fait et je préfère le voir aveugle que marié à une autre femme. Je me rendais à la police lorsque j’ai été arrêtée. »
Lecture faite de sa déclaration, la fille Barnier l’a rectifiée en disant qu’elle n’est restée en chambre que l’espace de six mois, pendant sa dernière grossesse, et a signé avec nous.
Le sieur Leydet ayant été conduit au domicile du sieur Grimaud, menuisier, rue Puits-Neuf, n°61, qui se trouvait avec lui dans ce moment, nous nous sommes transporté au domicile de ce dernier et avons interrogé la victime qui nous a répondu ce qui suit :

Le sieur Grimaud Louis, âgé de 38 ans, menuisier et machiniste au théâtre, domicilié rue du Puits-Neuf n°61, à Aix, déclare ce qui suit :
« J’avais besoin de voir Leydet à l’occasion d’une fourniture de meubles que je dois lui faire pour son prochain mariage. Je l’ai rencontré au café de l’Europe d’où nous sommes sortis vers six heures et demie du soir. Après avoir fait quelques pas sur la place, une jeune fille est venue au devant de nous et a lancé à la figure de Leydet le contenu d’une petite cruche. Ce contenu a rejailli sur moi, qui me trouvais un pas en avant de mon ami et m’a atteint au côté droit, mais seulement sur le bras et le côté de mon paletot. Je me suis mis à la poursuite de cette fille qui se sauvait par la rue du Collège (1) et je l’ai atteinte rue Bourg-d’Arpille (2), puis je l’ai conduite à la mairie. J’ai repris au café le sieur Leydet qui y recevait les soins de M. le docteur Chabrier et je l’ai conduit chez moi. Il a tout le côté gauche de la figure brûlé par le vitriol et l’œil gauche fortement endommagé. »
Après lecture faite, le témoin a signé avec nous.
Nous avons requis le docteur Rimbaud à l’effet de constater les blessures et d’en faire connaître la gravité.
La fille Barnier Hélène a été écrouée à la maison d’arrêt.
Fait à Aix, etc.
Marius Gaspard Leydet a finalement épousé Marie Anne Thérèse Rossignol à Aix-en-Provence le18 décembre 1873.
Notes
- 1. Actuelle rue Manuel.
- 2. Actuelle rue Chastel.