Terreur dans les rues du village (Châteaurenard, 13 novembre 1797)

chateaurenard« Il se forma, à quelque distance de la commune de Châteaurenard, un attroupement armé d’environ cinquante personnes qui s’étaient réunies de différents endroits et parmi lesquelles on remarqua Jacques Genevet, Mistral, Gontier dit lou Merlan, Pauleau dit lou Camaïgre, Louis Deleutre, Jacques Mascle dit lou Capelan, Borel et plusieurs autres non reconnus. Tous étaient armés de fusils et pistolets. L’un d’eux avait un sabre. Les individus disaient entre eux : « Pourvu que nous en fassions péter une douzaine, ça va bien ! Nous quittons la commune pour sept à huit jours, nous reviendrons ensuite, et nous serons les maîtres ».

Vers les trois heures du matin de ce 23 brumaire, cette troupe, après s’être reposée au mas dit la Boutière, marcha sur Châteaurenard. Dans la route, un des attroupés dit : « Nous n’allons pas à Châteaurenard si nous ne sommes pas assurés d’y assassiner ». Un autre, désigné par le nom Le Long François, lui répondit : « Alors, venez, vous trouverez de quoi vous amuser ».

Avant d’entrer dans la commune, il était environ cinq heures du matin, l’attroupement se divisa. Les uns prirent le haut, les autres le bas du village, qu’ils parcoururent en tirant des coups de fusil et en menaçant les citoyens qui paraissaient à leurs croisées.
Parvenus devant la maison commune, ils bloquèrent la Garde Nationale qui était de service. Ils firent feu sur le factionnaire qui resta mort sur place. Ils entrèrent ensuite dans le corps de garde. Ils mirent en fuite ceux qui y étaient et les poursuivirent jusque dans les appartements de la maison commune.
De par l’effet des coups de fusil qu’ils tiraient, ils tuèrent les uns, blessèrent les autres. Et répandirent dans tout le village l’effroi et la consternation.

Plusieurs de ceux qui étaient dans le corps de garde parvinrent cependant à s’échapper sains et saufs.
Pour en imposer davantage, les attroupés parcouraient les rues en criant : « À moi, Tarascon ! À moi, Beaucaire ! À moi, patriotes et républicains ! » D’autres disaient : « Guerre à mort à tous les brigands. Cent hommes ici ! Cent hommes là ! »

Deux des cadavres des personnes assassinées, celui d’Antoine Millet et celui de Baisse furent traînés dans la remise de Beaulieu.

Après cette opération, les attroupés, craignant à être surpris par les secours qui pouvaient arriver des villages circonvoisins, prirent la fuite, laissant dans les rues de Châteaurenard et dans les chemins par où ils avaient passé des panaches blancs.

Les délits furent constatés par des procès-verbaux que les autorités dressèrent dans la journée du 23. Desquels il résulte que les citoyens Robert Delaire, Baisse aîné, volontaire retiré depuis peu de l’armée d’Italie pour cause de maladie, et Antoine Millet furent laissés morts sur la place, que Joseph Ginoux, Louis Paulin, Joseph Journet fils, Seisson aîné, furent blessés grièvement.
Parmi les individus qui ont fait partie de la bande qui se livra à ces excès dans la commune de Châteaurenard et y commit plusieurs assassinats, l’on a vu entre autres Jean Jacques M., qui marchait le sabre à la main, sa chemise retroussée et sa veste sur l’épaule.
On l’a entendu exciter ceux des attroupés qui étaient avec lui, leur dire : « Allons à la Commune, nos gens y sont, qui tirent des coups de fusil ». Il s’est montré toujours armé de son sabre et dans les rues allant à la maison commune.

Jacques R. était à l’escalier de la maison commune lorsque Ginoux reçut des coups de feu à la cuisse. Ginoux implorait son assistance et R. lui répondit : « Tant pis pour toi. Pourquoi te trouvais-tu là ! »
André B., Jacques R., fils, Jean B. dit lou Coucourdier, Pierre A., Antoine C., Pascal G., Louis D., Joseph G., François M., Denis Philippe B., Joseph Claude G. dit le Raton sont tous auteurs ou complices des assassinats qui ont été commis à Châteaurenard ledit jour 23 brumaire an VI, puisqu’ils ont été vus faire partie du rassemblement armé.
C’est Louis D. qui blessa au poignet Louis Paulin et qui criait aux habitants qui se montraient à leurs croisées : « Fermez vos fenêtres ou je vous brûle ».

Quelques jours auparavant, le même attroupement s’étant montré, en paraissant vouloir s’opposer à l’installation de la Municipalité que venait faire un commissaire du département. mais les attroupés se retirèrent, voyant qu’ils ne seraient pas les plus forts.
Jean Jacques M., interrogé par le juge du tribunal, a nié avoir fait partie du rassemblement qui, le 23 brumaire, se porta sur Châteaurenard. Que depuis quatre ans et demi il n’a cessé de résider à Manduel dans le Gard. Qu’il y était ledit jour, que c’est la peur qui l’obligea à quitter Châteaurenard.
Jacques R., interrogé par le même juge, a déclaré qu’il y aura cinq ans le 8 septembre prochain qu’il a quitté Châteaurenard. Que ce fut pour se soustraire aux événements qui pouvaient arriver dans le pays qu’il se détermina à en partir, qu’il n’y était pas le 23 brumaire, ni le 18 brumaire an VI, qu’il n’a pas fait partie de l’attroupement armé qui a commis des assassinats.
Les frères B. ont déclaré également qu’ils n’avaient jamais fait partie d’aucun rassemblement armé. Que le 23 brumaire an VI, ils étaient à Beaucaire, où ils travaillaient.

Il résulte de tous ces détails que le 23 brumaire an VI, un rassemblement armé se porta vers les cinq heures du matin dans la commune de Châteaurenard, cerna les citoyens qui montaient la garde à la maison commune, tira des coups de fusil, assassina les citoyens Robert Delaire, Baisse aîné et Millet Antoine, blessant grièvement les citoyens Journet, Seisson, Ginoux et Louis Paulin.
Et que quinze individus, membres de ce rassemblement, sont prévenus d’être les auteurs ou complices de ces délits. »

  • Source : Rapport du tribunal de commerce, cité in Châteaurenard de Provence, J. Jouffron, J. Clamen, 1984.
  • Photographie : Vue générale de Châteaurenard. DR.